texte : Eric Rouxhet - photos : Albert Debaisieux

J’arrive encore plus tôt que d’habitude. Au moins, il y a encore de la place dans le frigo pour y glisser ma salade de pâtes dédiée à « l’auberge espagnole » de fin de journée. Le local contigu est plein d’inconnus. J’erre timidement quand une fille me demande, admirative, si c’est moi qui suis l’auteur des chroniques clownesques. Ecrivain reconnu ! Je commence à me demander si je ne suis pas devenu clown pour avoir le prétexte d’écrire.

Mais voilà que la salle se libère de la dernière répétition d’un autre groupe. Je fonce farfouiller dans une grosse malle métallique maladroitement calligraphiée « clown » à la peinture blanche.

Préparer mes accessoires, surtout ces collants en dentelles surmontés de cette improbable perruque « animal bob » qui feront de moi le moins ressemblant mais j’espère le plus crédible des molosses.

Par cette journée de canicule, la salle, bâtie en contrebas, a encore la douce fraîcheur de la nuit. Le genre d’endroit où on conservait le beurre jadis …
avant midi. Car à partir de deux heures, inutile encore de chauffer le public et vers cinq heures, on regrette presque qu’il soit si nombreux, la chaleur ambiante ayant tendance à se rapprocher de la température corporelle des spectateurs.

Voilà que « Mon » chien se lance à la poursuite effrénée quoique galante d’une imposante gamine. Je finis la scène haletant comme une bête traquée (rien à voir avec le trac). Je me débarrasse vite de ce déguisement calorique avant qu’un éventuel agent de la S.P.A. déguisé en spectateur ne fasse fermer le théâtre pour maltraitance animale.

Je ne sais si c‘est à force de répétitions ou bien galvanisé par l’ambiance mais j’éprouve une belle connivence avec mes partenaires. Et le fait qu’elles soient toutes deux diamétralement opposées dans leurs modes d’expression ne fait qu’augmenter mon plaisir.

Je me lance ainsi dans des assauts volubiles et échevelés avec l’une pour me laisser glisser ensuite dans un ballet mutique et rêveur avec l’autre.

Mis à part les clowns, il y a eu de belles choses sur scène. Deux jeunes démontaient les mécanismes du harcèlement à l’école. Ne voulant pas en rester à la dénonciation stérile, ils ont mis en place une cellule d’écoute et d’appui … animée par les élèves eux-mêmes. L’autogestion appliquée à la psychologie ! Voir ici l’article d’Isabelle sur le travail des élèves de l’ITCF VAL ITMA

Ensuite, un défilé d’estropiés du corps et de la vie dans un hôpital imaginaire montrait avec beaucoup d’humour et de dérision ce qui menace d’être la
devise des hôpitaux en Belgique : « Patient pour l’horaire, client pour l’honoraire ». Tout cela me donne bien envie d’orienter mes recherches
clownesques vers le décorticage des situations de détresse.

Voilà, la saison des clowns est finie. Ils vont à présent migrer dans les pays des sans-nez pour revenir en automne, guidés par la boussole de leur
inséparable tarin et viendront se poser chez Rita, là où ils sont nés.

Eric