Personnages (8)

Le Resquilleur : un marginal, il y a du punk en lui, mais aussi une forme de gouaillerie gavrochienne.
Le Fromager : un paysan, du cru, attaché aux traditions.
Le Placier : disposé à toutes les corruptions, il doit en imposer, c’est lui le maître du marché.
Le Baba-cool : en fait, c’est un commerçant qui a trouvé un créneau commercial. De baba-cool, il n’a que l’apparence.
Le Marseillais : très chauvin, supporter fanatique de l’Olympique de Marseille.
La Touriste belge : caricature de Belge.

Lieux

Devant le théâtre, à la caisse.
La cave du fromager.
Le marché.
Le décor

Un fond de scène plus ou moins neutre, ou éventuellement avec un motif évoquant la vie rurale, suffit pour toutes les scènes. La définition précise des lieux sera donnée par le jeu des comédiens et les accessoires. La cave du fromager sera suggérée par la lumière et le jeu. Le marché sera défini par les étales que les vendeurs installeront sur la scène.

Les costumes

Les costumes sont “réalistes”.
le Resquilleur : des touches provoquantes dans ses vêtements.
le Fromager : paysan endimanché pour le marché, avec un gilet noir, une chemise blanche, un béret.
le Placier : un brassard, ou un insigne visible pour lui donner de l’autorité et sa sacoche pour encaisser.
le Baba-cool : il rentre en “civil” puis revêt une tunique indienne pour se donner son image commerciale.
le Marseillais : chemise échancrée, bagues, gourmette, collier et tatouages.
la Touriste belge : propre sur elle, avec une touche touristique.

Le spectacle :

le Resquilleur.
Dans la cave du fromager.
Au marché.
Les marchands
La touriste
Le vol du fumet
Le jugement

Scène I

Avant l’entrée des spectateurs, un marginal attend devant le théâtre ou à ses abords. Pendant que le public arrive et s’installe, il tente de “négocier” avec le caissier son entrée dans la salle, au moyen de toutes sortes de stratagèmes.
Lorsque le spectacle peut commencer, il termine son “approche” aux premiers rangs, puis monte sur la scène
.

A l’entrée du Théâtre, devant la caisse.

le Resquilleur : Qu’est-ce qui se passe ici ? On m’avait dit qu’il y avait une “teuf” ici ?
C’est samedi ?
C’est bien la salle municipale...
Et alors, il y a quoi ? Un spectacle ? Et y font quoi dans ce spectacle ?

Le caissier : (Chuchotant.) Du théâtre.

le Resquilleur : Du théâtre ? Mais c’est nul ! En tous cas, Ils ont des gueules d’enterrement.

le Resquilleur : Et c’est quand qu’on va faire la fête ?

Le caissier : (Chuchotant, le préposé aux billets, sans cesse, invite à voix basse le Resquilleur à se calmer.) Un peu de calme s’il vous plaît...

le Resquilleur : (Au caissier.)
On peut rentrer pour voir ? C’est pas payant au moins ?

Le caissier : (Chuchotant.) 5 Euros.

le Resquilleur : Hein ! 5 Euros ! Une connerie comme ça ? Vous risquez pas de m’y voir. Purée !
Ah non ! Moi je paye pas. Je reste pas là moi, c’est pas pour nous la culture, et puis ça fait mal à la tête. On va attendre dehors que ça finisse...
(Il ouvre la porte, sort, puis rentre aussitôt.)

le Resquilleur : Je peux regarder si Momo est dans la salle. Momo... Tu connais pas Momo ? Momo, celui qui joue du djembé. Tu connais pas Momo ? Tu viens de la Lune toi. Attends je regarde, si il est pas là et je sors. Allez, laisse moi regarder après Momo. Cinq minutes... ? Une minute ?

Le caissier : (Chuchotant.) pour rentrer vous devez payer.

le Resquilleur : Putain mais t’es un obstiné toi. Un obsédé même.
(Il ouvre la porte, sort, puis rentre encore.)

Le Resquilleur : C’est ma copine qui a le fric, elle est pas encore là. Natacha, tu connais ?
Une blonde ?
Natacha de St Martin ?
Non ?
Elle va arriver. Tu peux pas la rater. Une petite blonde. Elle payera pour moi. T’as qu’a lui dire que je suis déjà là. Stef’ de St Jean.

Le caissier : (Chuchotant quelque chose d’inaudible.)

Le Resquilleur : Pffffff....! T’es un vrai emmerdeur toi.

Le Resquilleur : Et ça dure combien de temps votre machin ?
C’est samedi, à la fin. Nous on est là pour faire la fête.

Le caissier : (Chuchotant.) Une heure.

le Resquilleur : Pffff. Une heure ! Et ça va bientôt commencer ?

Le caissier : (Dans un murmure.) Dans cinq minutes.

Le Resquilleur : Parce que nous on va revenir pour faire la fête après.

Le caissier : (Chuchotant.) C’est ça, revenez après.

Le Resquilleur : Après ? ... Après quoi ? Vous faites rien là ? ...Il ne se passe rien ? Nada !
C’est mortel votre truc... On se croirait à la messe.

Le caissier : (Chuchotant.) Moins fort s’il vous plaît.

Le Resquilleur : Mais pourquoi tu me parles comme un curé ?

Le caissier : (Chuchotant.) Allez, soyez gentil, ce ne sera pas long.

Le Resquilleur : ... Pas long...? Une heure de théâtre ? Mais c’est nul ça ! C’est ringard ! T’as vu leurs tronches là dedans ? C’est pas rigolo votre truc... !
(Il ouvre la porte, sort, puis rentre à nouveau.)
Nous on veut faire la teuf, on a des bibines... Les potes dehors y z’attendent. Dites, ça va vite finir votre truc ?

Le caissier : (Chuchotant.) Juste un peu de patience, une petite heure.

Le Resquilleur : Ah bon ! ...Hé ! Il y a mes potes dehors ! Je vais leur demander ce qu’ils vont faire. ( Il ouvre la porte et parle à ses amis.) Bon, mais c’est que nous on voudrait rentrer. On a amenésnos bibines et les djembés, on veut faire la teuf après...

Le caissier : (Chuchotant quelque chose d’inaudible.)

Le Resquilleur : Non on va pas déranger, on se met juste là vers le bar.

Le caissier : (Chuchotant.) Ce serait quand même préférable que vous restiez dehors.

Le Resquilleur : Non. Ben on se tire alors, on va attendre dehors que ça finisse (Il ouvre la porte et sort un instant et revient.)

Le Resquilleur : Bon, mes potes veulent pas attendre dehors. On pourrait pas changer l’ordre du programme ?,On fait d’abord la “teuf”, et vous faites votre truc de théâtre après. ... On a tout le matos, les djembés, les bibines, les meufs ...

Le caissier : (Chuchotant.) je vous assure ...

Le Resquilleur : Mais pourquoi que tu m’parles comme un curé, c’est la messe ici ?
Il y a rien qui a déjà commencé ?! On va pas se faire chier dehors pendant une plombe ?

Le caissier : (Chuchotant.) Moins fort s’il vous plaît ...

Le Resquilleur : Mais je parle pas fort quand même !....Ouais, ouais. Ça va, ça va , je sors... (Il ouvre à nouveau la porte et ressort.)

(Quelques instants plus tard.)
Le Resquilleur : Bon mes potes y restent dehors, ils fument... Moi je viens quand même voir comment c’est votre machin...

Le Resquilleur : .. Bon, je peux quand même rentrer un peu ? Juste pour voir si c’est aussi mortel...

Le caissier : (Chuchotant.) Bon mais discrètement, hein.

Le Resquilleur : Ça va commencer ? Je m’assois où ? là ? devant ?

Le caissier : (Chuchotant.) Tranquille, hein ?

le Resquilleur : Oui je reste tranquille ; Tu me prends pour un débile.
(Il s’assoit au premier rang. Le caissier monte sur scène et disparaît dans les coulisses. le Resquilleur jaillit alors à son tour sur la scène.)
Hé je les ai bien eu ! Je m’en vais leur foutre un bordel, tu vas voir ça ! Je vais leur niquer leur truc pourave... C’est ça leurs coulisses ? Je m’en vas leur foutre un de ces bordel !
(Il regarde autour de lui, vers les coulisses.)
IIs sont où ? En coulisses ? Attends j’y vais dans leur coulisses, pour les activer ces nuls. On va bien rigoler.
(Il s’y précipite et disparaît en coulisses.)

Scène 2

Un paysan rentre dans sa cave, et s’approche de ses fromages de chèvres qui maturent dans un coin. Il s’oriente dans la pénombre grâce à l’odeur dégagée par ses fromages. Il les trouve et manifeste alors un grand bonheur.

Le paysan : Ces pélardons, ils sont à point, généreux, moelleux.... (Il les hume, les tâte, les admire avec fierté.)

Certains osent le pélardon (Il prend un air étonné.) ... Au miel. (Surpris.) Aux figues. (Perplexe.) Au raisin. (Abasourdi.) Au coulis de fraises ...

D’autres préparent leurs pélardons au paprika. (Air de dégoût.), Aux piments. (Air de réprobation.) Au cumin. (Air nauséeux.)

Enfin, il y a le pélardon roulé dans une feuille de châtaignier. (Il s’agace.) Cendré. (Il s’énerve.) Mariné à l’huile d’olive de Luc ! (Il est scandalisé.)

Il y a le pélardon au lardon. (Air de mépris.)
Certains l’oublient dans le foin. (Air d’incompréhension totale.)
Certains les frottent au marc (Cela lui semble invraisemblable.) Au vin blanc. (Offusqué.) A-la-bière (Stupéfaction totale, en hachant les syllabes.)

Ils y en a qui le panent. (Il semble en souffrir.) Le font frire. (La douleur s’intensifie.) Le gratinent. (La douleur devient une torture.) L’émiettent. (Il va succomber tant il souffre.) Le râpent même. (Fâché et révolté.)

(En colère, sûr de lui et déterminé.) Non ! Non ! Non et non !

(Sur un ton de manifeste.)
Le Pélardon, c’est le Pélardon !

Un litre de lait.... (Précisant.) De chèvre !
Du lait cru et entier. (Avec force.)

Et pas du lait de chèvres qui restent à l’étable, mais du bon lait de bêtes qui se nourrissent sous les châtaigniers des Cévennes. Pas d’additif ! Pas de produit chimique !

(Sur un ton scientifique.)
Diamètre 7 cm, épaisseur 22 mm, poids moyen 60 grammes.
Matière grasse minimum de 45 %, matière sèche de 40 %.
Empréssurage, caillage, moulage à la main... en faisselles !
Égouttage, essuyage, ressuyage, avant le hâloir, puis l’affinage, entre 8 °C et 16 °C, avec une humidité de 85 à 95 %.
Séchage 13 jours.
Affinage 18 à 100 jours.

(Sur un ton amoureux.)
Tourné et retourné, Salé et resalé.
(Il précise.) Au sel sec !

(Sur un ton de gourmet.)
Une pâte fine, molle, franche au couteau, à la texture homogène, onctueuse, lisse à la coupe, cassante si on prolonge l’affinage.
Une croûte fine, naturelle, presque ivoire, jaune pâle ou légèrement bleutée
surtout pas crapoteuse...
Selon l’affinage Il peut être sec et piquant ou moelleux et onctueux. Un petit goût de noisette.
Un "nez" indéfinissable tellement riche en saveur....

(Sur un ton patriotique.)
Il y a aussi des fromages qui viennent du Gard, de l’Hérault, des Corbières, de l’Aude. C’est du “chèvre”, du simple fromage de chèvre.
Même si ces fromages essayent de se faire passer pour du pélardon, seul le pélardon, le vrai, le seul authentique, LE pélardon, est fabriqué dans les Cévennes, et là seulement.
Le pélardon, c’est le coeur de la culture des Cévennes, la fameuse identité cévenole...
Quand vous mangez du pélardon, avec un petit canon de rouge du pays, c’est comme si les Cévennes coulaient dans vos veines.

Scène 3

Le marché

Entrée du placier du marché.

le Placier :
Je suis le Placier.
C’est le maire qui m’a nommé. Une sorte d’adjoint qu’il m’a dit.
C’est moi qui attribue les places sur le marché. Ici je suis le dieu unique et tout puissant.
Ici, c’est moi qui décide qui devient riche ou misérable. Ici, c’est moi qui fait respecter l’ordre et les traditions.
Ici, la loi, c’est moi. Vous savez ... la loi du marché ?
Et je ne plaisante pas avec mes responsabilités. C’est tout un art d’organiser un beau et bon marché qui rapporte à tout le monde...
C’est d’ailleurs de plus en plus compliqué.
Avant il n’y avait que les gens du coin.
Les paysans venaient vendre leurs melons et leurs fromages et les clients étaient presque tous du village.
Puis l’été,on a commencé à voir apparaître les premiers touristes, il y en a eu de plus en plus, de toutes les sortes, des Anglais, des Belges, des Hollandais, des Allemands.
Maintenant les Chinois commencent même à arriver.
Enfin je ne sais pas si ce sont des Chinois mais ça y ressemble. Avec les yeux comme ça (il se fait les yeux bridés avec les doigts)
Pareil pour les marchands, il y a de tout maintenant.
Même des Indiens en costume qui chantent et qui vendent des chapeaux, Même des Noirs, aussi en costume, qui vendent des tam-tams.
Pareil pour les gens du coin, ça ressemble plus à rien. C’est tout mélangé, avec des hippies qui sont venus en mai 68, puis un tas d’autres bon à rien, Rmistes, et tout ça.
Bref, c’est devenu le bordel et ce marché s’est transformé en un vrai casse-tête. Parfois je n’en dors pas la nuit.

Entrée d’un vendeur de produits exotiques, au look de baba-cool.

Le Baba-cool : On m’a dit que c’était à vous qu’il fallait s’adresser pour avoir une place.
Le Placier : Bonjour.
Le Baba-cool : Ah oui, bonjour.
Le Placier : Oui, c’est moi le Placier. Mais je n’ai presque plus de places...
Vous vendez quoi ?
Le Baba-cool : De l’artisanat d’Inde
Le Placier : Dinde ? C’est avec la volaille qu’il faut vous mettre alors.
Le Baba-cool : De l’artisanat de l’Inde
Le Placier : Aaah... Des comme ça, on en a déjà une allée presque entière.
(dubitatif) Il y a ici, cette place à côté du poissonnier.
Le Baba-cool : Mais ça va sentir le poisson. Incompatible avec l’encens...
Le Placier : : Bon, bon, alors il reste trois mètres, ici, à côté du boucher.
Le Baba-cool : Je vends des Bouddhas, pas des boudins !
Et cette place ici ?
Le Placier : Ah non ! Impossible ! Malheureux ! Pardi, ce serait un sacrilège, c’est la place du fromage !
Le Baba-cool : Mais il n’est pas là .
Le Placier : Pas encore.
(catégorique) Là c’est pas possible, c’est le fromage, depuis ... Pffff. .. Il était déjà là quand j’ai repris la place de Gros Louis, l’ancien placier. Le fromage a toujours été là.
Le Baba-cool : (résigné) Bon. Et là ?
Le Placier : A côté... C’est une très bonne place.
Le Baba-cool : Je peux m’y mettre ?
Le Placier : C’est une très, très, bonne place .
Le Baba-cool : Et ça pourrait se faire ?
Le Placier : : Faut voir...
Tout le monde la veut, c’est une royale, monsieur...
Le Baba-cool : On pourrait s’arranger ?
Le Placier : Éventuellement.
Le Baba-cool : Passez me voir tout à l’heure ...
Le Placier : On verra ... En attendant installez-vous.
le Baba-cool-cool s’installe, il déploie une couverture sur le sol, étale sa marchandise et revêt une tunique indienne.

Entrée d’un marchand de saucissons, marseillais.
Il installe, à côté du baba-cool, ses tréteaux pour y présenter sa gamme de saucissons. Mais son banc, envahissant, déborde largement sur la rue.

Le Marseillais : (Au public.) Saucissons ! Un pour quatre euros, trois pour dix euros, et les 10 pour 20 euros. Toute la série ; saucissons pur porc, au poivre, aux herbes, au roquefort, au noix, au cognac.
Saucissons de canard, de sanglier, de bœuf, d’âne, de taureau, de cheval, d’autruche, et pour les végétariens, le saucisson de thon !
Saucissons de Savoie, de Strasbourg, de Morteau, de Paris, de Lyon, et celui au pastis, le meilleur, le saucisson de Marseille.

Après avoir prononcé le nom de Marseille, il s’arrête. Il s’illumine et répète avec inspiration :

Marseille !

(Soudain très excité et plein de fougue.)

Marseille ! On a gagné ! L’OM champion de France ! Vingt ans qu’on attendait ça !
Allez l’OM ! Enculés de Parisiens !

Lorsque le Marseillais croise le regard médusé du baba-cool, il se reprend et cherche à reprendre une contenance.

Le Marseillais : (En se calmant, un peu gêné.) On a gagné....
Saucissons, saucissons.
Au baba-cool :
Et vous vous venez de où ?

le Baba-cool : Oh, moi je vais, je viens...
Là, je reviens d’Inde. Un voyage.... Je ne vous raconte pas.
Vous n’avez jamais été en Inde ?

Le Marseillais : Oh, moi, vous savez, j’ai pas le temps. J’ai jamais été plus loin que Montélimart, vous savez cette ville au Nord. Je fais les marchés toute l’année, pas seulement pendant la saison touristique. Il n’y a pas de saison pour le saucisson !
(Il fait un geste obscène avec le bras.) J’arrête pas de le répéter à ma femme.
Vous avez une femme ?

le Baba-cool : (Un peu gêné par la lourdeur de son voisin.) J’ai une copine.

Le Marseillais : Oh je ne vous demande pas d’explications. Aujourd’hui on voit de tout. Vous savez, nous les marseillais on est comme ça, spontanés, nature.

le Baba-cool : Ah Marseille !

Le Marseillais : Marseille !
Il s’illumine à nouveau et à nouveau s’emplit d’un enthousiasme débordant :
On est les champions ! Les parisiens, ils l’ont dans le cul !
Allez l’OM !
On est les meilleurs, les plus forts !
Vingt ans qu’on attendait ça !
(le Marseillais s’aperçoit qu’il vient à nouveau de déraper et reprend contenance, confus.)

Entrée du paysan-fromager qui a installé ses tréteaux et ses plateaux de pélardons, pendant ces dernières répliques entre le Baba-cool et le Marseillais.

Les comédiens jouent que leurs personnages improvisent les rimes de ces trois monologues parallèles adressé au public.

Le Fromager : Fromages naturels.

Le Baba-cool : Huiles essentielles.

Le Marseillais : Saucisson traditionnel

Les trois personnages, mine de rien, commencent à faire de la surenchère.

Le Fromager : Subtil

Le Baba-cool : Volatil

Le Marseillais : Viril

Le Fromager : Fondant

Le Baba-cool : Calmant

Le Marseillais : Bandant

Le Fromager : Piquant

Le Baba-cool : Relaxant

Le Marseillais : Puissant

Le Fromager : Coulant

Le Baba-cool : Apaisant

Le Marseillais : (D’une traite pour tenter de submerger ses concurrents.)
Echauffant, Fringuant, Fortifiant, Régalant, Stimulant
Les deux autres restent flegmatiques.

Le Fromager : Typique.

Le Baba-cool : Thérapeutique.

Le Marseillais : (Résigné.) Gastronomique.

Le Fromager : Local.

Le Baba-cool : Médical.

Le Marseillais : (routinier) Provençal.

Le Fromager : Traditionnel.

Le Baba-cool : Culturel .

Le Marseillais : Sensuel.

Le Fromager : Sentez ! Vous reconnaissez la bonne odeur de chèvre ?

Le Baba-cool : Respirez ces fragances de chèvrefeuille ...

Le Marseillais : Le petit Jésus en culottes de velours !

Le Fromager : (Au baba-cool.) Oh, quelle nuisance, ces parfums ! On dirait du désodorisant pour chiottes. A choisir, je préfère encore les pots d’échappements.

Le Baba-cool : (En cherchant à se faire du Marseillais un complice.) Quel gâche-métier, l’autre là avec ses vieilles croûtes ! Il pourrait les mettre au frigo, tout de même. J’aurais été mieux à côté du poisson.
Le Fromager : (En cherchant également à se faire du Marseillais un complice.) L’horreur intégrale, tous ces arômes. Et c’est tenace ! Et en plus, le vent vient du mauvais côté. Il contamine mes pélardons. D’ailleurs, on ne devrait pas mélanger l’alimentaire et les cochonneries de ce genre sur les marchés.
J’en suis malade...
Vivement que je retrouve mes biquettes et leur bonne odeur.

Le Baba-cool : (Au Marseillais.) C’est pas hygiénique, toute cette marchandise étalée en plein air, c’est dégoûtant, ça grouille de vers...

Entrée du placier, il vient recevoir la redevance des emplacements des commerçants sur le marché.

Le Marseillais : (après avoir aperçu le Placier, en aparté aux autres commerçants.) Et maintenant place au racket.

Le Fromager : (A ses collègues.) Avec lui, mes pélardons attrapent des trous.

Le Baba-cool : (Au fromager.) C’est connu, les rats aiment le fromage.

Le Placier : (Au marseillais.) J’espère que tu as la monnaie.

Il constate l’envahissement de la rue par les marchandises du marseillais.

Mais dis donc tu déborde sur la rue.

Le Marseillais : Vous n’allez pas m’enquiquiner pour trente centimètres.

Le Placier : Trente centimètre, c’est bien marseillais ça. Il y a un bon mètre tu veux dire. Si chacun commence à faire comme toi, il n’y aura plus assez de places pour passer. Recule moi ça.
Après avoir payé, le Marseillais, réorganise son stand en bourgeonnant.

Le Placier : (Au fromager.) Dis-donc, tu me dois les trois dernière semaines. J’espère qu’aujourd’hui tu vas pouvoir me payer.

Le Fromager : ( En apparence, assuré.) Pas de problème. Je peux. Deux semaines aujourd’hui et deux semaine au prochain marché.

Le Placier : Non mais tu ne vas pas recommencer comme l’année dernière. Combien de temps ça va durer ce petit jeu ?

Le Fromager : ( Accomodant et tendant l’argent.) Je te le jure, je te règle le reste la semaine prochaine.

Le Placier : Je l’espère bien, pour toi. Sinon je serais obligé de refiler ta place. C’est pas les marchands de fromages qui manquent.

Le Fromager : ( Reprenant un peu de fiereté.) De pélardons ! Marchand de pélardon ! C’est pas pareil.

(Il hausse les épaules et approche plus discrètement du baba-cool.)

Le Placier : (D’un air entendu.) Tu as trois mètres... Et quelques....

Le Baba-cool : (De connivence avec le Placier.) Tenez j’ai tout préparé, le compte est juste.

Le Placier : Si vous voulez je vous retiens la place pour la semaine prochaine.
(Il fait un clin d’œil au baba-cool et sort.)

Le Baba-cool : (Une fois le Placier sorti, aux autres commerçants.) Ça ne rigole pas !

Le Fromager : Il nous sucerait le sang.

Le Marseillais : Moi c’est pas le sang que je lui ferais sucer.

Entrée du resquilleur. Il est attiré par l’odeur du fromage.

Le Resquilleur : un ptit fumet qui ouvre l’appétit !
Ah mais ça donne faim la bière !
Il s’adresse au fromager.
Et l’bouseux t’aurais pas des invendus ?...Des dates limites dépassées ? De la vente rapide ? Ou une petite dégustation offerte par la maison... Allez, rien qu’un petit échantillon ?

Le Fromager : Allez, dégage, j’ai pas besoin de mouches sur mes fromages. Va plutôt chercher du boulot et tu pourras t’en acheter du pélardon.

Le Resquilleur : Oh le mauvais, mais il est méchant !

Le Fromager : C’est ça, va voir plus loin.

Le Resquilleur disparaît.

Entrée d’une touriste belge, elle passe devant les étales et s’arrête devant le Fromager.

La Touriste belge : C’est donc ça, les fameux pélardons dont mon amie m’a parlé ! Est-ce que vous savez m’expliquer la différence entre les tout blancs, là, et puis les presque noirs ? Et les verts, ce sont des moisis ?

Le Fromager : (le Fromager lève les yeux au ciel.) Il n’y a rien de moisi ici. Ce sont des pélardons “a-ffi-nés”

La Touriste belge : Ah bon. Et on mange la croûte ?

Le Fromager : On mange tout, (résigné) mais après chacun fait comme il veut.

La Touriste belge : C’est pour moi faire une recette.

Le Fromager :(Semble redouter le pis.) Une recette....

La Touriste belge : Pour mettre en valeur ce pélardon.

Le Fromager : (Fait la grimace.)

La Touriste belge : Il paraît que ça n’a pas beaucoup de goût, que ça ressemble un peu au brie belge.

Le Fromager : Le brie belge ? Ça existe ?

La Touriste belge : C’est une recette d’une amie de Liège qui me l’a recommandée.

Le Fromager : de Liège...

La Touriste belge : C’est une bonne recette, savez-vous. Vous commencez par couper dans l’épaisseur un pélardon en deux.
(le Fromager souffre)
Puis vous l’écrasez sur une tartine de pain français grillée.
Le Fromager : du pain français ?
La Touriste belge : Oui, mais coupé en tartines, frottées à l’ail et généreusement beurrées...
(le Fromager semble subir lui-même le sort du pélardon.)
Le Fromager : (Etonné, abasourdi .) beurrées ?

La Touriste belge : Nappez le pélardon d’une bonne cuillerée de sirop de Liège.
(le Fromager fait la grimace.)
Ça remplace avantageusement le miel de châtaignier. C’est trop amer le miel de châtaigner.
(le Fromager est écœuré.)
Parsemez de quelques pignons de pin, mais c’est meilleur avec du cumin.
(le Fromager est proche de la nausée.)
Et vous faites griller à four vif.
(le Fromager semble ressentir lui-même la brûlure du four.)
Si vous voulez, le pélardon peut être remplacé par du brie belge, qui est plus "goûteux".
(le Fromager est près de la défaillance.)
J’en connais aussi une à base de saumon fumé, d’oeufs durs, de crème fraîche et d’aneth. Vous mixez les pélardons avec le saumon ...

Le Fromager : (Livide et contenant avec peine sa rage, sa désapprobation totale et son dégoût, se décide à interrompre sa cliente.)
Vous les prenez ces pélardons ?

La Touriste belge : Mettez-moi une fois les blancs, trois. les verts, je n’oserai jamais manger ça.

le Resquilleur rentre, s’approche à nouveau des fromages, mais en catimini, et il renifle à nouveau les pélardons.

Le Fromager : (Résigné et voulant en finir.) Ça vous fera 6 euros.

La Touriste belge : Et on va déguster ça avec une bonne bière.

Le Fromager : (Abasourdi) De la bière ?
Cela déprime encore plus le Fromager.

La Touriste belge : Une bonne petite blonde de chez nous.
la Touriste sort.

Le Fromager : (aux deux autres)
Pardi, ces Belges, c’est quelque chose... Et pour la cuisine, quel massacre, pauvres pélardons. Ils n’ont aucune pitié.

Le Marseillais : Oh le Belge n’est pas le pire. Vous ne connaissez pas les Hollandais.?

Le Baba-cool : Et les Flamands...?

Le Marseillais : C’est la même chose.

Le Baba-cool : Ah non le Flamant c’est une sorte de Belge hollandais. Il y a plusieurs variétés de Belges : les fFamands qui parlent le hollandais, les Wallons qui parlent presque le français, et puis les Bruxellois, c’est eux qui parlent le belge.

Le Marseillais : De toute façon, je n’y comprends rien mais ce que je vois, c’est qu’ils n’achètent rien. Ils amènent tout de chez eux les Hollandais. Même le pain et l’eau.

Le Resquilleur s’est discrètement approché des fromages à l’insu du fromager, absorbé par le débat de ses collègues. le Resquilleur passe un morceau de pain au dessus des pélardons... Le Fromager se retourne mais le Resquilleur parvient à ne pas se faire remarquer. le Fromager chasse les mouches de ses fromages en regardant le Resquilleur avec méfiance. Le Resquilleur fait semblant de grignoter son pain en toute innocence.

Le Baba-cool : Et les Anglais, ils achètent tout. Vous avez vu le prix des maisons ? Bientôt on ne sera plus chez-nous.

Le Fromager : Des Anglais, j’en ai même eu qui voulait manger mes pélardons avec du coca.

Pendant que le Fromager a son attention focalisée par la discussion, le Resquilleur tourne et retourne son quignon de pain au-dessus des pélardons, puis le mord avec délectation.

Le Marseillais : L’Anglais il fait tout a l’envers. Et il est maussade. Faut dire qu’il pleut toute l’année là-bas.

Le Fromager : En plus ils mangent comme des cochons.

Le Marseillais : Et les Suisses ?

Le Baba-cool : Ah ça ils sont propres.

Le Marseillais : Le Suisse est aussi avare que le Hollandais.

Le Fromager : Le Suisse, en dehors du gruyère et du chocolat, ça mange rien.

Le Baba-cool : Mais ils sont ponctuels, toujours à l’heure.

Le Marseillais : C’est à cause de leurs montres, vous savez les montres suisses...

Le Fromager : (Se retourne à nouveau vers ses fromages et s’aperçoit du manège du Resquilleur toujours occupé à passer son pain dans l’odeur des pélardons.)
Tu dégages !

Le Resquilleur : Mais.. je ne fais rien de mal ! J’y touches pas à tes fromages !...

Le Fromager : Ça va, ça va...
(D’une main méprisante, il invite le Resquilleur à s’éloigner, ensuite, il se retourne vers ses collègues).
Ces clochards, ces romanichels, ces manouches, ça vous gâche le métier.

Le Marseillais : Bien vrai. Je le dis tous les jours : “le gouvernement, au lieu d’emmerder les honnêtes gens avec les taxes et les paperasses, il ferait mieux de mettre de l’ordre”.
Et que je te mettrais tout ça au boulot.

Le Baba-cool : C’est peut-être même pas français...

Le Marseillais : On est envahi, je vous le dis. Chacun chez soi et tout irait mieux.

Le Baba-cool : C’est comme les Allemands...

Le Marseillais : Ah les Allemands, ils sont terribles !

(le Resquilleur continue de se délecter de son quignon de pain, et à recommencer à le passer et le repasser au-dessus des pélardons.)

Le Fromager : (Absorbé par la conversation.) Mon père, ils les appelaient les doryphores.

Le Marseillais : Mais le plus incroyable avec les Allemands, vous savez ce que c’est ?

Le Fromager et le Baba-cool : Non ... ?

Le Marseillais : Ils ne parlent pas français !

Le Fromager et le Baba-cool : Non...?

Le Marseillais : Je vous le jure.

Le Baba-cool : Mais comment ils font alors.... ?

Le Fromager : (le Fromager se retourne, surprend à nouveau le Resquilleur avec son bout de pain au-dessus de ses fromages et explose.)
Maintenant ça suffit, tu payes !

Le Resquilleur : Je paie quoi ?

Le Fromager : Tu as passé le pain au-dessus de mon fromage ? Donc tu paies !

Le Resquilleur : Payer pour ça ? Pour de l’odeur ?"

Le Fromager : Sans mon fromage, il n’y aurait pas d’odeur.

Le Baba-cool : Ça c’est bien vrai.

Le Fromager : (Jette un regard mauvais au Baba-cool, puis revient au resquilleur.) Tu payes !

Le Resquilleur:Tout le monde la respire ton odeur, pourquoi moi je devrais payer !?

Le Fromager : Tout le monde la respire, parce que je le veux bien, si je le voulais, je pourrais aussi l’empêcher.

Le Resquilleur : Rapace !

Le Fromager : Parasite !

Le Resquilleur : Vautour !

Le Fromager : Voleur !

Le Fromager se saisit du resquilleur et commence à le secouer. Le Resquilleur tente de le repousser.

Je vais te casser la gueule !

Le Resquilleur : Chacal !

Le Fromager : Bandit !

Le Marseillais et le Baba-cool essayent de retenir chacun l’un des protagonistes.
Ceux-ci continuent de se débattre et de tenter de se donner des coups de pieds et des coups de poings. Le ton de la voix et l’énervement montent à chaque réplique.

Le Resquilleur : Hyène !

Le Fromager : Voyou !

Le Resquilleur : Crocodile !

Le Fromager : Gangster !

Dans la confusion, malgré qu’ils ceinturent chacun l’un des combattants, ce sont le Marseillais et le Baba-cool qui reçoivent les coups.

Le Marseillais : (Au Baba-cool.) Tiens mieux le tien c’est moi qui prend tout.

Le Baba-cool : (Au Marseillais.) Tu parles, je viens de prendre un coup de pied du tien.

Le Resquilleur : Vampire !

Le Fromager : Retenez-moi, je vais le massacrer...

La Touriste belge passe la tête, puis rentre sur scène.

La Touriste belge : Ils se passe quelque chose ? Une animation ?

Arrive le Placier.

Le Placier : (Autoritaire, d’une voix qui prête à rétablir le calme) Oooooh là ! C’est quoi ce chambard ?

La bagarre se suspend et une explication passionnée commence.

Le Fromager : Ce pouilleux, ce voleur, refuse de me payer !

Le Resquilleur : Cet escroc veut me faire payer pour l’odeur de son fromage. La puanteur, oui ...

Le Placier : Du calme, du calme... Que chacun s’explique calmement.

Le Fromager : Cet apache rôde autour de mon banc depuis ce matin, il fait fuir la bonne clientèle et en plus il me vole le parfum de mes fromages en passant son pain dessus.

Le Resquilleur : Menteur, pas dessus, au-dessus ! J’ai seulement passé mon bout de pain au-dessus et il veut me faire payer pour ça. Je ne les ai même pas touché ses fromages puants.

Le Fromager : Puant toi-même. Pour ça, tu vas me payer le prix d’un fromage.

Le Resquilleur : Dans tes rêves !

Le Placier : Du calme. Ou on règle ça entre-nous, à l’amiable, ou j’appelle la police. Je ne peux pas tolérer de scandale sur mon marché. Pas question que ça devienne un foutoir !
Au resquilleur.
Tu lui payes son fromage et on en parle plus ou c’est la police.

Le Resquilleur : Tout de suite les gros mots. Vous n’allez quand même pas appeler les flics pour ça...

Le Fromager : Si on les laisse faire, ils finiront par nous assassiner. Allez paye et va te faire pendre ailleurs.

Le Placier : Je crois que ce serait plus raisonnable ...

Le Resquilleur : (Intimidé par la menace de la police, Il jette une pièce de mauvaise grâce au placier.) Le voilà votre fric, pauvres types.

Il sort.

Le Fromager : Et voilà, tu vois que c’est pas compliqué de s’arranger. (Il tend la main au placier pour recevoir son argent.)

Le Placier : S’arranger oui, mais pas si vite.
Tu lui a vendu l’odeur de tes fromages...
Et bien regarde-le bien cet argent. (Il montre bien la pièce au fromager.)
Il me revient.
C’est le prix pour avoir créé de la perturbation. Et que je ne vous y prennent plus.

(Au public.)

“Selon que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.”
Cette leçon vaut bien un fromage.

Il sort.