Travail de sociologie : techniques d’observation par Johanna Riedesser

Dans le cadre d’un cours de sociologie de l’Université de Lille, Johanna a observé le "Collectif Femmes Sans Frontières", dans son travail de répétition et lors de la représentation de son spectacle "Trois pas en avant, trois pas en arrière ?" Un regard frais mais sans concessions...

Remarque : les "observations" sont divisées en deux parties. On trouvera dans le corps même du texte les traits les plus pertinents. Les deux annexes (à la fin du texte) reprennent de façon extensive l’ensemble des faits notés par Johanna.

TECHNIQUES DE RECHERCHE OBSERVATION

Il nous a été proposé de réaliser des exercices d’observation ce semestre, nous avons été laissés libres de choisir un thème qui nous intéresse, qui nous questionne.
Lors de la première séance, je n’arrivais pas à me décider entre les différents thèmes des groupes plus ou moins déjà constitués. En y réfléchissant pendant la semaine, j’ai pensé au Théâtre-Action qui réunit théâtre amateur et troupes professionnelles en Belgique, qui est porteur d’une méthode de travail, de création et de présentation artistique ainsi que de visées différentes de celles du théâtre que j’ai connu comme spectatrice.

Je l’ai découvert il y a deux ans car les parents (Marcel S. et Rita C.) de mon compagnon, créateurs et membres de la troupe belge du « Théâtre Croquemitaine », font partie de ceux qui font vivre le théâtre-action au travers de différentes formes d’intervention, comme celles que l’on va voir ci-après ainsi que par la participation à des festivals internationaux ou par le travail avec des troupes d’acteurs étrangers pour des réalisations jouées sur place et/ou en Europe, tel Au cœur des ténèbres (sur la marchandisation des femmes) au Vietnam ou actuellement une autre collaboration au Burkina Faso.

J’ai donc eu accès en tant que spectatrice à un certain nombre de représentations ; certains des spectacles ont été coécrits et joués par les membres du Croquemitaine, tandis que d’autres ont été coécrits et joués par des participants à des ateliers théâtre animés par Rita C., sur des thèmes qu’on peut dire « militants » comme la question des sans papiers, le problème des pubs ou encore de la « malbouffe » et de l’obésité. Comme ces réalisations sont le fruit d’un travail collectif, je me posais des questions sur les processus créatifs qui induisent des interactions sociales, l’engagement des participants dans ses séances. De plus, comme Rita C. me rend souvent compte d’anecdotes et de ses impressions, cela aiguise ma curiosité. Elle est chargée de mission, le plus souvent par la Province du Hainaut, pour animer des ateliers auprès de groupes d’enfants ou d’adultes, modestes voire, pour certains groupes, en grande précarité. Elle travaille dans les régions de Mouscron ou de Charleroi dont la population d’origine ouvrière a connu de grands problèmes depuis les années 70 et la fermeture des industries, et connaît à présent des taux de chômage importants.
Je me suis donc posé une première question, assez générale : quels sont les liens du théâtre-action avec l’expression populaire ? Mais cela m’est rapidement apparu trop vague et, de plus, je n’étais pas sûre de la justesse des notions et donc de leur pertinence.

Bien que cette formulation ne me satisfasse pas moi-même complètement, j’ai cherché des articles qui soient plus ou moins en lien avec ce sujet (ce qui ne fut pas évident, je n’ai rien trouvé qui concerne directement le théâtre).

Le 1er article, écrit par J. Palard, s’intitule Stratégie politique, action culturelle et intégration socio-spatiale, il a été publié dans la revue, Sciences de la Société (n° 31, p. 5-15) en 1994.
Il montre qu’il y a eu en 1990 un changement de politique culturelle, une orientation plus volontariste notamment du fait de l’augmentation des crédits du ministère de la culture en vue de s’adresser à une population plus directement « visée » avec une « décentralisation culturelle » et une professionnalisation des animateurs. L’objectif était alors de « réduire les inégalités culturelles » et de promouvoir l’aménagement du territoire (banlieues marginalisées). La municipalité, la région sont devenus, de par leur nature « locale », des acteurs importants de l’action culturelle.

Il semble qu’il serait bon de se questionner sur les conséquences de la baisse des aides aux associations déjà implantées : au vu de la situation actuelle, la volonté de « réduire la fragmentation socio-spatiale » n’est pas encore tout à fait concluante.

Plus en rapport avec mon sujet, cet article montre que l’institutionnalisation de l’action culturelle s’accompagne également d’une dévalorisation de la combinaison du socioculturel. Cela traduit le conflit entre deux logiques : la logique contractuelle de l’Etat qui entend démocratiser la culture (« la professionnalisation des animateurs : un gage de qualité ») par l’action culturelle qui reste ancrée dans la « conception légitimiste de la culture ». Au contraire, « l’approche relativiste » tend à déconstruire la domination de la culture savante et « privilégie les formes de participation collective ». Elle suppose la coexistence de différences cultures, « célèbre la créativité, l’amateurisme ».

C’est dans cette dernière approche que s’inscrit plus ou moins directement le théâtre-action. Il y a un encadrement professionnel (formations de cadres socioculturels en lien avec la province du Hainaut) et les membres du Croquemitaine montrent cette distension entre « animateur local » et « créateur cosmopolite » (qui écrit et joue une pièce avec plus de souci d’esthétique) même si tous deux « militent pour l’avènement d’une démocratie culturelle ». Le théâtre-action se revendique du social : il cherche à sortir des lieux traditionnels, réservés le plus souvent à une minorité, pour s’adresser au public exclu socialement. Ainsi, le théâtre-action a pour but la création théâtrale collective (importance de la spontanéité, de l’improvisation) plus que le produit. Il s’inscrit dans la tradition du théâtre engagé (aussi en Angleterre). Dans l’ouvrage Théâtre Action 1996-2006, que j’ai également consulté, le Directeur du « Centre du Théâtre-Action » (1992-2005), P. Biot écrit qu’il « doit engendrer une réaction visant à des changements politiques ». En effet, le théâtre-action se dit lui-même théâtre en résistance et « doit préserver l’insurrection de l’Esprit ». Il fait en sorte que les participants s’approprient la complexité de la société pour la rendre publique comme « jouer la vie pour la changer ! ». Le théâtre-action se veut « à la croisée de l’art et du social » et maintient le modèle socioculturel en garantissant la qualité d’intervention et la diversité des modes.

Ces lectures m’ont permis de mieux définir les enjeux soulevés par le théâtre-action comme la question des liens sociaux développés dans l’intervention socioculturelle et notamment -au travers de la critique sociale et de la création collective- l’importance de l’expression des individus (des « exclus »). Cela renvoie aussi à la relation avec le public : le travail collectif est fait pour être communiqué, partagé, discuté, débattu.

J’en viens donc à formuler plus précisément ma question : en quoi le théâtre-action contribue-t-il à renforcer les liens sociaux et l’expression des identités des individus et du groupe ?

Je reviendrai plus tard sur certaines des informations suivantes mais elles sont pertinentes pour expliquer le choix de mon second article. Je me suis ensuite posé la question : qui observer ? Parmi les différents ateliers, Rita C. anime un groupe de femmes le samedi J’ai déjà eu l’occasion de les rencontrer une ou deux fois lorsqu’elles ont répété dans la salle que Rita C. occupe. Il s’agit d’un groupe de cinq femmes âgées d’une soixantaine d’années, d’origine populaire, habitant Mouscron (Belgique) et constituées en collectif « Femmes sans frontières ». Comme je suis libre le samedi et que je savais par Rita C. qu’elles travaillaient une pièce sur le droit des femmes, je me suis dit qu’il était intéressant que je fasse une recherche sur ces différentes modalités.

J’ai donc trouvé un article écrit en collaboration par M. Charpentier, A. Quéniart, N. Guberman et N. Blanchard (quatre femmes) et intitulé Les femmes aînées et l’engagement social : une analyse exploratoire du cas des Mémés déchaînées publié dans la revue Lien social et politiques (-RIAC 51, Engagement social et politique dans le parcours de vie) en 2004 (p. 135-143). C’est le compte-rendu d’une enquête qualitative de femmes québécoises retraitées, militantes, engagées qui vont à l’encontre de la vision largement répandue d’une vieillesse synonyme de désengagement, en retrait de la société. Le fait que les sociétés modernes connaissent un vieillissement important de la population, notamment féminine, soulève un problème démographique mais aussi social. La retraite est souvent considérée et vécue comme « une mort sociale » (Gillemard). Les auteures font l’analyse d’une « double discrimination » basée sur l’âge et le sexe et se placent donc dans une perspective féministe de l’engagement social des femmes. « Le genre conditionne l’expérience du vieillissement et les rapports des femmes au social et au politique ». Cette situation plus générale du retrait de toutes les sphères actives, notamment de la citoyenneté, est marquée par le genre : les femmes aujourd’hui à la retraite ont connu, voire contribué, au mouvement d’émancipation des femmes qui traversa la société des années 60 ; elles sont pourtant restées longtemps, et en nombre, en dehors de la sphère publique. La vieillesse est alors vécue en partie dans ce prolongement et ce même sans tenir compte de la précarisation des femmes âgées, fonction des parcours de vie. L’analyse de l’engagement militant ou bénévole des femmes âgées démontre que celui-ci est très souvent facilité par la tradition familiale ou par une expérience préalable.

Les auteures montrent que ces femmes tentent de s’organiser de manière nouvelle, en accord avec les valeurs qu’elles revendiquent, pour ne pas reproduire ce qu’elles dénoncent. Elles cherchent à améliorer les relations avec des organisations non hiérarchiques, ouvertes à la participation et à la parole de chacune, c’est-à-dire à développer des liens sociaux, de la solidarité, d’autant plus que ce sont souvent des collectifs où l’affinité est une modalité importante. Selon A. Philipps, elles développent « une conception de la démocratie radicalement participative » et se font ainsi citoyennes. Les actions sont de nature pacifiques et diverses. L’article précise notamment le rendez-vous pour les grandes causes comme la Marche mondiale de femmes, qui concerne également le collectif que j’ai étudié puisqu’il a été fondé suite à la participation de ces femmes à la manifestation à Marseille. Mais leur engagement revêt aussi différentes formes qu’on pourrait qualifier de conviviales : groupes de chanteuses, associations et … théâtre. Les auteures les décrivent comme « sympathiques », engagées (sans « attache partisane ») pour des causes et valeurs assez vagues et larges comme la justice sociale et la paix (manifestation contre la guerre en Irak). Leur expérience permet de déconstruire les préjugés sur la vieillesse des femmes et de favoriser par la parole la transmission de la mémoire et de l’expérience, et les liens intergénérationnels.

Cet article permet ainsi également de mieux saisir les enjeux de la question de l’expérience de la vieillesse selon le genre et m’a amenée à me poser de nombreuses questions à la fois sur la constitution du groupe (mode de fonctionnement), ses motivations, son action (quels thèmes abordés), sur le public auquel il s’adresse, sur les relations que les femmes de ce groupe entretiennent entre elles…

Il me permet également donc de formuler plus précisément ma question de départ en lien avec ces nouvelles modalités :

Dans le cas d’un collectif de femmes âgées (« Femmes sans frontières »), en quoi le théâtre-action contribue-t-il à renforcer les liens sociaux et l’expression des individus et/ou collective (dans le cadre d’un travail sur le droit des femmes) ?

I. Réalisation des observations

Grâce à Rita C. j’ai pu accéder au milieu du théâtre-action mais aussi à des informations précises. Nous avons discuté du présent exercice, qui l’intéressait également pour son propre travail. Active dans le milieu socioculturel, elle est sensible aux questions sociologiques et très ouverte à la discussion, qui lui permet d’être confrontée à son expérience sur le terrain, dans les ateliers. Je lui ai demandé s’il était possible d’assister à une séance de répétition, voire plus. Elle a répercuté ma demande auprès des femmes de l’atelier qui ont accepté ma présence.

Avant ma rencontre avec Rita C. et Marcel S., je ne connaissais pas du tout le théâtre-action. Et même si j’avais déjà vu quelques représentations, je n’en avais vu de ce groupe-ci ni d’ailleurs assisté à une séance quelle qu’elle soit, pas plus qu’au processus initial.
D’autre part, j’ai déjà vu ces femmes deux fois l’année dernière, mais c’était assez furtif. Elles étaient dans le salon de Rita, après les répétitions car elles organisent toujours un goûter. Je me souviens qu’elles buvaient du vin blanc et qu’il était resté beaucoup de gâteaux en tout genre qu’elles avaient amenés. Je me souviens également vaguement qu’elles étaient drôles, joviales, qu’elles parlaient beaucoup et fort.
J’appréhendais assez cette rencontre, ce sont des femmes âgées qui ont une expérience de femme différente de la mienne, une différence d’âge mais aussi générationnelle. Je ne savais pas comment allait être accueillie l’étudiante. J’espérais bien apprendre des choses d’elles mais j’étais impressionnée de rentrer dans ce groupe constitué et affirmé pour l’observer.

Une fois la date arrêtée, j’ai demandé à Rita C. de m’expliquer comment était organisée la séance. Je lui ai en outre demandé d’intervenir au moment du bilan de la séance, d’une part pour savoir si les participantes avaient des questions à mon propos et d’autre part pour leur demander des renseignements plus individuels les concernant :

  • leur âge
  • l’origine CSP des parents
  • leur situation professionnelle : diplômes, parcours
  • leur situation matrimoniale
  • la situation professionnelle du conjoint, des enfants et petits enfants
  • leurs engagements : où, combien de temps, etc.
  • les autres types d’activités.
    Je voulais le moins possible perturber le cours normal de la séance. Malgré l’appréhension, j’avais une relative confiance dans la possibilité d’établir de bonnes relations car, étant la « belle fille » de Rita, je bénéficiais d’un avantage et je pensais ces femmes accueillantes et chaleureuses.

Je souhaitais également en savoir un peu plus sur le collectif.
J’ai appris auprès de Rita C. que le collectif s’était crée en 2000 suite à la Marche mondiale des femmes, d’où son nom « Femmes sans frontières ». Elles traduisaient ainsi une revendication sur la condition spécifique des femmes à l’échelle internationale. L’atelier a commencé un an plus tard. Les informations recueillies auprès des femmes participantes montrent que toutes ne sont pas là depuis le début et même qu’une des fondatrices ne fait plus partie du groupe. Le collectif compte 4 réalisations : « Martine fait le ménage » en 2002 (sur les valeurs qui oppriment les femmes), « Devenir belle » en 2003 (sur la pub), « Drame et amour » (sur la violence conjugale) en 2004, « Toujours plus pauvres » en 2005 (sur le chômage et la précarité des femmes).
La dernière réalisation, à laquelle je vais assister lors de la séance du samedi 18 octobre et qui dure 3h, s’intitule « Trois pas en avant, trois pas en arrière ? ». Je n’en connais pas le contenu exact, c’est une surprise qui me fait un peu peur, il faut que je comprenne le sens de la pièce tout en observant les six femmes, la pratique du théâtre.
Je voulais me laisser un peu surprendre.

Néanmoins l’historique bref du collectif ainsi que cette réalisation sur la question des droits des femmes et de leur pérennité viennent appuyer la question de la continuité du mouvement des femmes depuis les années 60 au travers de ses femmes âgées. Je ne sais pas si elles ont directement participé au mouvement -même si, compte tenu de leur âge, elles devaient avoir la vingtaine. Ce sont des femmes qui ont connu la fin de la guerre, l’apogée du modèle traditionnel de la femme d’après-guerre et le tournant majeur des années 60 (elles sont presque toutes divorcées, certaines vivent à nouveau en couple). Ce sont des féministes engagées qui utilisent le théâtre pour en quelque sorte éveiller les consciences et cela implique une volonté de transmission intergénérationnelle, donc de la mémoire et de l’expérience.

Rita m’a également communiqué l’agenda des représentations précédentes qui, d’une certaine façon, insiste sur la question de la proximité sociale et locale du groupe par rapport à ses spectateurs : la pièce en question a déjà été jouée une fois en soutien aux « Femmes Prévoyantes et Socialistes » (une asbl proche du PS en Belgique) de Mouscron où elles habitent. Elles vont jouer plusieurs fois (ce sera l’objet de ma seconde observation) dans le cadre de la Semaine de l’égalité des chances hommes/femmes à partir du 25 octobre, à Mouscron également. Elles ont joué une pièce précédente pour un autre groupe de femmes et pour un autre atelier de Rita et vice-versa : moment d’échange et de discussion des productions respectives.

Il s’agit donc maintenant de constituer la grille d’observation de cette séance, qui se déroulera durant trois heures dans la maison communale d’un village situé à mi chemin entre le domicile de Rita C. et ceux des femmes de Mouscron, le samedi 18 octobre de 15h à 18h. Seront présentes les cinq femmes du collectif, Rita C. et moi. Ce sera donc une sorte d’huis-clos de femmes répétant la pièce qu’elles joueront prochainement…

Je ne connais pas vraiment ces femmes, je n’ai d’elles qu’une vision furtive et quelques prénoms…. De plus, la pièce est presque terminée, ce qui constitue un inconvénient dans la mesure où je vais de nouveau être spectatrice, bien que ce soit dans le contexte du travail de finalisation. Il me sera difficile d’observer le processus de construction collective. Pour autant, le contenu de la pièce, les rôles joués peuvent peut-être me permettre de trouver des indices.
Ma grille d’observation est un peu vague et plutôt thématique :

  • je vais observer le déroulement chronologique de la séance, composée de différentes séquences dont le travail théâtral de répétition, le moment d’échanges autour de la table et le goûter ;
  • je vais observer les différentes personnes, leurs caractéristiques (langage, posture) ;
  • je vais également observer leur participation et, de ce fait, les différentes interactions (entre elles, au niveau du groupe et avec Rita C.) ;
  • au niveau de la pièce, que je ne connais pas, je pourrai observer la pratique du théâtre, ce qui est joué, par qui, le rôle spécifique de Rita C., le contenu comme résultat collectif ;
    Je propose enfin d’occuper une position de spectatrice et d’ensuite faire partie du cercle de réunion.

II. Séquences d’observation et comptes-rendus

Brève présentation des individus observés et mise en perspective

Je vais commencer par présenter les personnes (d’après les informations que j’ai obtenues à la fin de la séance). Ceci est utile à la compréhension et à l’analyse.

Commençons par Rita C. Elle a 56 ans. Cheveux bruns avec reflets rouges (henné) taillés au carré, plutôt sauvages, c’est une femme mince avec une voix très rauque, qui semble autoritaire alors qu’elle est drôle (elle s’amuse à faire la sorcière auprès des enfants en jouant de son long nez et d’un grain de beauté qu’elle porte à côté). Elle a une posture assez distinguée, une parole théâtrale. Elle est la fille d’un gendarme et d’une mère de 5 enfants, au foyer, en campagne, dans les Ardennes belges. Elle a obtenu une licence de journalisme à Bruxelles. Militante pour une radio libre à Tournai, elle fonde avec son compagnon, et d’autres, le théâtre du Croquemitaine, pour lequel elle joue quelques années. Cela fait désormais vingt ans qu’elle anime des ateliers divers (enfants, camps de théâtre, adultes, stages, ateliers dans la prison de Loos, à l’étranger…) dont celui-ci depuis 2001.
Elle a donc connu une ascension sociale surprenante en devenant « artiste militante », intervenant dans le domaine social.

Les 5 femmes membres du collectif se sont pour la plupart engagées dans les années 2000 dans le collectif « Femmes Sans Frontières », dans la plateforme « Femmes en marche », la plateforme « Palestine », le MRAX (mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie), et pour certaines dans les « Amitiés Laos ».
Danielle L., 62 ans, est une femme aux cheveux courts, poivrés, d’ allure distinguée, avec une voix ferme. Elle est d’origine ouvrière, elle a été institutrice (avec un diplôme d’ « Humanités ») et est retraitée de l’enseignement depuis 2005. Elle est divorcée, elle a un fils informaticien et deux petits-enfants.
Mauricette L., 57 ans, a aussi les cheveux courts, plus blonds, avec certaines marques de distinction, ou de timidité, comme de se mettre la main devant la bouche quand elle rit en tournant un peu la tête. Elle est également d’origine ouvrière. Elle est traductrice et a été animatrice de groupe à la Ligue de l’enseignement. Elle est également diplômée d’ « Humanités » et est actuellement sans emploi dans le tertiaire. Elle a une fille de 37 ans, secrétaire de direction (et détentrice d’un diplôme d’ « Humanités », section secrétariat langues).

Ces deux femmes, d’origine populaire, ont connu une ascension sociale grâce en quelque sorte à « l’accumulation du capital culturel » même si le « capital économique » reste modéré (Bourdieu). L’enseignement, mais plus largement le tertiaire et désormais les services et la salarisation ont, depuis les années 60, ouvert aux femmes les portes d’une intégration durable, dans le marché du travail. Avec un salaire stable et de nouveaux droits (travailler sans l’autorisation du mari, ouvrir un compte bancaire pour les femmes mariées…), c’est la possibilité d’acquérir une autonomie économique et sociale. Grands-mères divorcées, avec un seul enfant, elles montrent le passage à la famille moderne et l’émancipation économique et sociale des femmes (droits à la contraception (1967), à l’avortement (75), au divorce par consentement mutuel (75)).

Annie D., 67 ans, est un personnage particulier. C’est une grande dame aux cheveux courts teintés, avec des lunettes, des poils sur le menton. Elle parle fort, fait de grands gestes, raconte des blagues et a un accent mouscronnois, populaire, plus marqué qui me la rend parfois incompréhensible. Son père était ouvrier, sa mère institutrice. Elle est « pensionnée » depuis 1999. Elle a été agent d’administration pendant 42 ans (sans diplôme ?). Elle est « célibataire » (divorcée ?) et a un fils barman depuis 24 ans (sans diplôme).
Son fils ne connaît pas de véritable ascension sociale. On peut également remarquer que c’est la seule qui soit engagée dans un mouvement politique, elle établit d’ailleurs une distinction avec les « mouvements associatifs », qu’elle n’explicite pas. En effet, depuis 1960, elle fait partie du syndicat de gauche belge la FGTB (fédération générale des travailleurs de Belgique) et, depuis 1970, elle est membre du Parti Socialiste et des « Femmes Prévoyantes Socialistes ». C’est donc d’abord par le travail qu’elle est devenue syndicaliste puis, plus largement, militante politique socialiste affiliée au groupe féministe. Elle a donc une culture politique, fruit d’une longue expérience que je ne connais pas plus dans le détail que ses motifs d’engagement ni ses modes d’intervention (héritage familial, mère instruite)…
Monique M., 59 ans, est une femme un peu forte, aux cheveux blonds mi-longs. Elle aussi a un accent qui parfois m’échappe. Sa mère était femme au foyer et son père ouvrier du textile ; elle fut elle-même ouvrière textile avant d’être sans emploi depuis 1998. C’est au moment de son divorce qu’elle est entrée dans le groupe. Elle a un enfant artisan ébéniste et deux petites-filles.
Au contraire des autres, elle n’a pas connu d’ascension sociale et a été touchée par les restructurations du bassin industriel dont Mouscron a beaucoup souffert. C’est une des dernières à être entrée dans le collectif et à s’être mise au théâtre. Elle a dû trouver auprès d’autres femmes peut-être de la conviction, du soutien. Il est possible qu’elle ait un « capital culturel » moindre (ratures et fautes d’orthographe sur la feuille jointe) et doit être encore marquée par la division sexuée du travail car elle met avant « la lecture et les voyages », « la cuisine et recevoir ». Elle semble avoir une expérience militante ou engagée moindre.
Il s’agit maintenant de présenter Khamphiou S. dite Phiou, qui est d’origine laotienne (je ne sais pas depuis combien de temps elle est en France, elle parle le français couramment, avec un petit accent saccadé et l’écrit sans faute). C’est une femme petite, menue, très distinguée (elle fait des bijoux). Elle a une petite voix et sourit beaucoup. Elle a une apparence physique et vestimentaire qui donne l’impression qu’elle est plus jeune. Son père était « Académicien des lettres » au Laos et sa mère, femme au foyer, mère de trois enfants (une de ses filles s’est suicidée). Puis elle a travaillé (a-t-elle parallèlement divorcé ?) dans une résidence pour personnes âgées. Son mari est professeur et ingénieur. Elle est pensionnée depuis 2000. C’est elle qui est dans l’association « Amitiés belgo-Laos » depuis 1970 et qui a dû la faire connaître à Danielle. Son expérience est particulière, différente de celles des autres femmes, mais je ne la connais pas.

Dans tous les cas, Annie est plus particulièrement emblématique de l’émancipation politique des femmes des années 60-70 ; l’expérience des autres femmes montre qu’elles se sont engagées dans l’âge mûr et que la retraite ou l’inactivité (non volontaire !) multiplie leurs possibilités de s’engager. Leur engagement s’articule autour de l’idée du féminisme et de la solidarité internationale (Palestine, Laos, MRAX), perceptible dans les sujets de leurs pièces et notamment de celle qui nous concerne. Annie ajoute même dans ses « hobbies » : récolter de l’argent pour toutes les causes humanitaires. Son engagement incarne donc en plus la question de la justice sociale.

Cette description bien que postérieure à l’observation rapportée ci-après permettra de mieux en cadrer la lecture et la compréhension..

II. 1. Compte-rendu de la 1ère séquence d’observation

Ce qui suit ne représente que le bref résumé d’une observation en réalité beaucoup plus longue.

Le samedi, je suis partie avec Rita au rendez-vous pour la séance de répétition de 15h à 18h. La salle communale est assez grande, elle doit faire l’objet d’usages divers. Les cinq autres femmes arrivent ensemble, dans la voiture d’Annie, ce qui traduit une forme de solidarité issue de la communication.
La séance de répétition est divisée en cinq parties et semble aussi constituer une occasion de se voir entre femmes, qui plus est entre amies : elles discutent d’anecdotes, rigolent et semblent s’amuser. C’est aussi évidemment plus directement l’occasion d’organiser leur intervention, de peaufiner leur pièce, de réfléchir sur les conditions de réalisation et de discuter de la future pièce, qui devrait traiter de la prostitution.

La salle est divisée en deux espaces : le lieu de répétition dans le fond de la salle et le coin « table-chaises » qui fait office de « coin réunion », où l’on discute en grignotant les nombreux chocolats et gâteaux qu’elles ont apportés et qu’elles se passent entre elles. Elles en proposent autant à moi qu’à Rita, ce qui montre qu’elles entretiennent des relations spécifiques et que Rita n’est pas dans la même position. En effet, elle a un rôle d’écoute, de femme avec qui elles rigolent, à qui elles font des blagues (notamment Annie) mais en même temps d’encadrement professionnel de la pratique ainsi que de fil conducteur tant sur la question de la future pièce que pour ce qui concerne les questions administratives.
« Le goûter » est un moment d’échanges importants, de convivialité.
Au début de la séance, elles font donc une partie réunion-bilan, tardent à vouloir se mettre « au travail », puis mettent le décor en place au fond de la salle.

Rita s’assoit sur une chaise, face à elles et frappe les 3 coups : je vais donc découvrir le spectacle et essayer de le décrire. Il me faut préciser qu’il s’agissait d’une répétition, dès lors entrecoupée d’arrêts divers, ce qui ne m’a pas rendu la compréhension et la signification faciles. Je mets donc en italique la compilation de ce que j’ai noté lors des différentes reprises. Elle présente des lacunes.
Les femmes gardent leurs prénoms dans la pièce ce qui est peut-être le signe d’une volonté d’exprimer son identité, son expérience.

Le spectacle commence au bureau à la fin d’une journée de travail. Danielle et Mauricette sont deux collègues. Danielle vit avec sa mère (Annie) et sa fille adolescente (Phiou), Monique est une amie.

Première scène.

Danielle porte un classeur ouvert. Mauricette est assise et fait mine de taper à l’ordinateur. Danielle a l’air fâché, Mauricette est souriante et a l’air fier, elle mime avec une main une glace dans laquelle elle se regarde, elle se recoiffe, se fait belle. Mauricette demande « Bah, qu’est-ce que t’as ? » et Danielle commence à expliquer qu’elle en a plein le dos, que ce n’est pas normal que même au bureau il y ait des femmes qui touchent 20% de moins pour « le même travail et le même diplôme » (en insistant). Mauricette rétorque que pour elle tout va bien, elle a un salaire, un beau mari, elle part en vacances (en même temps elle se remet du rouge à lèvre). « Je vais bien, tout va bien ! » mime très ironiquement Danielle en le chantant et en dansant presque face au public. Puis, elle pousse le rouge à lèvres sur le visage de Mauricette ce qui la surprend (elle ne bouge plus, reste bouche ouverte). Elle lui renvoie son expérience de femme seule avec un enfant et l’appelle Madame la Marquise. Sur un ton revendicateur, face au public toujours, pour l’interpeler, elle fait appel à la mémoire des grèves de Herstal auxquelles « 3600 femmes »ont participé pour leur salaire, soutenues par toutes les Européennes ». Ce fut « 11 semaines d’occupation, une marche de 6000 femmes sur Liège ».
Enfin, toutes les deux sortent en chantant « travail égal, salaire égal ! »
(Opposition entre femmes émancipées et femmes entretenues. Révolte contre le fait que les droits acquis par des femmes ne soient pas réalité et du peu de contestation. Rappel historique)

Deuxième scène.

Phiou joue l’adolescente, affalée sur une chaise, télécommande en main, le regard fixé sur une imaginaire TV. Assise à côté, Annie lit le journal (question des nouvelles technologies et de la baisse de communication dans la famille, plus grave encore entre les générations). Danielle est assise, puis se lève, elle fait le ménage avec un plumeau. Monique entre avec un sac dans lequel sont censés être des médicaments qu’elle apporte à Annie et qu’elle pose à ses pieds. Elle lui fait la bise, Annie la remercie. Monique s’assoit sur l’autre chaise, Annie se lève, sert une tasse de thé à Monique. Danielle continue à faire le ménage. Phiou soupire et lui dit agacée sans la regarder « Tu l’as déjà fait hier, je suis en vacances » (les femmes « font le ménage » parce que « quelqu’un » vient, ce qui révolte la fille, qui cherche à les remettre en cause). Danielle répond qu’il faut bien que quelqu’un le fasse ! Phiou force sa mère à s’asseoir et lui masse les épaules. Monique dit « Et quand ton mari vivait ici c’est qui, qui le faisait ? » Danielle hausse les épaules et sourit du massage. Puis Phiou se met en retrait avec des écouteurs sur la tête et fait mine de danser. Annie se lève alors en direction du public pour énumérer les expériences domestiques de son époque. Elle refait la semaine d’une femme. Elle mime les gestes comme frotter le linge, le doigt pointé, elle retrouve d’anciennes techniques qui faisaient l’identité de la femme (scène un peu longue, elle cherche parfois ses mots, se mouche, mais rajoute une touche d’humour supplémentaire). Elle finit par « Ce ne sont pas les femmes qui usent le linge, mais le linge qui use les femmes. » et s’assoit (petit blanc signalé par Rita).
Annie, en tant que grand-mère, vient rappeler les changements de la condition des femmes, elle montre également que ces changements conséquents sont intervenus en peu de temps dans l’histoire des femmes.

Troisième scène.

Phiou tire sa mère par le bras « Maman, maman », au même moment Mauricette entre en pleurant, elles l’aident à l’asseoir tandis qu’elle pleurniche « Mon conte de fée est terminé ! » (image de la femme naïve, trompée, entretenue et désormais devant de nouvelles difficultés). Danielle a le bras sur ses épaules, les autres la regardent, lui demandent ce qu’il se passe. « Son mari la trompe depuis trois ans avec une secrétaire », elle dit qu’elle se sent mieux maintenant, mais s’inquiète de son avenir. Phiou tire de nouveau sa mère par le bras parce qu’elle voudrait les mêmes bottes que ses copines, les siennes sont démodées.
Elle veut aller faire du lèche-vitrine avec sa mère, lui fait des bisous. Danielle fait mine de céder à la gentillesse de sa fille et propose à Mauricette de les accompagner pour lui « changer les idées » . Elles s’en vont toutes les trois (critique de la société de consommation, des modes qui poussent à l’achat frénétique, pour « se libérer l’esprit »… et le portefeuille dans ce cas des parents).
Monique et Annie restent seules à boire un café, chacune sans se regarder tournent leur cuillère dans la tasse, perplexes, (effet humoristique). Monique : « Une de plus » par dépit et Annie répond « Et oui. ». Monique fait un signe et s’en va (résignation des plus âgées, … les « hommes sont tous les mêmes »).

Quatrième scène

Phiou rentre avec des bottes noires aux pieds en sautillant, les regarde, les montre en marchant et s’émerveille « Regarde mamie, mes belles bottes. ». Annie reproche à sa fille de s’être laissé faire, puis ne dit plus rien. Danielle fait mine de ne rien entendre. Phiou s’en va dans sa chambre pour écouter de la musique ; elle fait la bise à toutes, en dernier lieu à sa mère « Merci maman ».
Danielle, Annie et Mauricette sont assises toutes les 3. Annie propose alors « une goutte ». Elles boivent un premier verre sans se regarder, ni se parler. Il y a un temps de pause puis Annie en propose un deuxième, elles haussent les épaules et tendent leurs verres. Alors que Mauricette fait la moue, Danielle commence à éclater de rire. Annie la regarde les yeux ouverts, surprise, ne comprenant pas. Elle rit de plus en plus fort, Mauricette a l’air encore plus dépitée et ne comprend pas plus. Elle demande à Annie de lui resservir un verre, Danielle rit de plus belle alors que Annie la ressert. Mauricette s’exclame alors en la regardant et en se levant « Salope ! ». Danielle continue de rire et lui rappelle narquoisement leur dernière discussion, relative notamment au salaire, « Heureusement que t’as pas d’enfant ! » dit-elle en marchant autour d’elle. Elle lui prend doucement son écharpe et lui lance « Tu te souviens … ». Tout en s’avançant, elles prennent l’écharpe comme une banderole. Elle fait un retour sur les manifestations et le mouvement féministe des années 60. Elles chantent : « Contraception libre et gratuite ! », « Notre ventre nous appartient » avec la main sur le ventre. En regardant tour à tour Mauricette et le public, Danielle évoque l’histoire du médecin avorteur emprisonné et des « 343 salopes ». A tour de rôle, elles citent certains prénoms. Elles se regardent et clament « Un enfant si je veux, quand je veux ».
(Elles évoquent donc le combat féministe des années 60 pour le droit des femmes à disposer librement de leur corps et la nécessité de rester vigilantes : les droits acquis sont toujours susceptibles d’être remis en cause.)
Annie se lève jusqu’au milieu de la banderole, et annonce les « Pressions aux USA, en Pologne et même en Belgique, une loi peut en remplacer une autre » (solidarité avec toutes les femmes pour les mêmes droits). Danielle et Mauricette s’avancent et d’un ton ferme s’écrient : « Trois pas en avant et aucun en arrière ! », le poing levé. Elles font mine, en rigolant, d’être fatiguées. Danielle annonce qu’elle va se coucher alors que Mauricette est malade et se tient le ventre. Annie lui propose de passer la nuit chez elle sur le divan (solidarité des femmes dans les moments difficiles) et l’aide en la soutenant. Elles quittent la scène.

Cinquième scène

Annie appelle sa petite fille pour aller voter « Il faut être dans les 1ères ! » ; Phiou : « Ca ne sert à rien » en soupirant, d’un ton plein de désintérêt... Annie évoque alors 1948, le droit de vote des femmes (en Belgique) et 2004 sur la parité tout en étant critique (un droit mais pas effectif, sous représentation des femmes dans la vie politique) « Elles peuvent assumer des responsabilités comme les hommes. »
(Le personnage d’Annie - mamie vient donc sans cesse rappeler les droits acquis -notamment politiques- des femmes qu’il faut savoir s’approprier et dont il faut comprendre qu’ils sont issus de luttes antérieures que sa génération a connues). On les voit partir voter pendant que les autres se préparent dans le fond et mettent les masques blancs. Phiou met son masque.

Scène finale
Rita annonce « Lumière ! ». Les femmes entrent masquées, silencieusement, en file indienne, elles s’alignent face au public. Annie au bout, à droite, d’un ton sérieux, avec un texte sous les yeux : « Nous souhaitons rendre hommage aux anonymes, à toutes les femmes en lutte… »
Elles finissent donc en interpelant « les consciences » de la salle.
Rita applaudit. Elles saluent, sans masques.

La pièce s’inspire du quotidien de la vie sociale des femmes, vue par des femmes. « Deux pas en avant, deux pas en arrière ? » met en exergue la lutte des femmes du XXème siècle vers l’égalité. Elle mêle donc féminisme contemporain et rappels historiques au travers de relations amicales, solidaires et intergénérationnelles (3 générations de femmes sous un même toit). Elle évoque ainsi la question de l’égalité des salaires entre hommes et femmes, la difficulté de femmes seules (avec enfants), trompées ou parties de leur propre volonté mais qui ont acquis leur indépendance. Elle évoque également le mouvement féministe des années 60 pour le droit à disposer de son corps (contraception, avortement) et la question de la participation politique des femmes (droit de vote et parité). Annie, en tant que mamie, fait le trait d’union ; elle montre les acquis et la nécessité de rester vigilantes pour le futur, notamment par le biais de la mémoire et de la transmission entre femmes, intergénérationnelle. C’est dans cette optique de l’engagement et de la volonté de réveiller cette attitude chez les femmes qu’un hommage est rendu à toutes les femmes anonymes, quelles qu’elles soient, où qu’elles soient.
Les derniers mots du spectacle sont : « Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ? » (et Annie jette la chaussette qu’elle tient à la main). Elle souligne ainsi l’ambiguïté même au sein de la gauche féministe à ce sujet. Le changement doit se faire aussi dans la vie quotidienne, avec la volonté de changer des hommes mais aussi des femmes (difficulté de combattre les schèmes intériorisés même chez les militantes). Le contenu de la pièce -écrite par elles- est induit par leurs expériences personnelles de femmes divorcées, de mères, de militantes âgées.

Cette répétition (un cadre limité, donc), ainsi que celle qui a suivi la pause proposée par Rita, se sont faites dans la perspective de jouer en public dans les semaines suivantes. Les scènes sont donc finalisées, les conseils de Rita sont de l’ordre de la technique et elle-même attend des femmes leurs impressions. Elles font des oublis parfois, seule Annie lit son texte de temps en temps (Danielle déstabilisée lors la deuxième répétition y aura recours aussi).

Rita les interrompt parfois pendant qu’elles jouent, elle se lève, ce qui suffit pour que les actrices s’arrêtent. Il y a d’importants échanges de regards, quand Rita leur demande de refaire une scène, elle mime, montre, refait elle-même. Monique, qui intervient le moins et semble manquer de confiance en elle, a tendance à souvent redemander des conseils sur sa prestation. Son capital culturel moindre ainsi que sa trajectoire semblent la mettre moins à l’aise que les autres.

Le rapport de Rita et des comédiennes est néanmoins marqué par la confiance entre les deux parties et efface au moins partiellement le rapport de hiérarchie basé sur le professionnalisme de Rita. A chaque fin de répétition, un bilan est fait, puis une réunion est organisée autour de la table. Tandis que la répétition est très cadrée, que les femmes sont concentrées sur le jeu, autour de la table, la discussion est plus libre : Annie blague beaucoup, de manière ironique voire sarcastique, elle tient une place souvent centrale dans les discussions même si tout le monde intervient peu ou prou et raconte des anecdotes personnelles.

Le théâtre, dans cette perspective de « « collectif », semble être un moyen privilégié pour elles d’interpeller plus particulièrement les femmes, de façon relativement locale, mais aussi une façon de se retrouver entre elles, de s’exprimer, d’échanger des informations dans une optique plutôt militante (elles parlent de femmes seules, de femmes battues de leur entourage, etc.). Le projet de travail sur la prostitution se base sur de l’information récoltée quant à un établissement de passes à Tournai. Le sujet semble difficile, peut-être en raison de leur âge, des rapports au corps,…

Après la seconde répétition Rita fait de nouveau un bilan ; elle se dit confiante, précise qu’il faut juste revoir les textes et rappelle les conditions un peu difficiles de la représentation sous chapiteau.

Je profite de ce dernier temps autour de la table pour présenter mon objet de recherche, les remercier d’avoir accepté. Je leur pose les questions prévues, auxquelles elles répondent volontiers, ce moment fait l’objet d’une séquence détendue, on dirait de jeunes écolières qui blaguent sur la question des hommes.

Il s’agit donc un groupe de femmes presque toutes retraitées (capital temps important), joviales, particulièrement Annie qui semble être un personnage important de ce groupe. Des liens sociaux existent en particulier du fait de leur rendez-vous théâtral. Elles se côtoient régulièrement, elles ont manifestement des liens d’affinité (ou même plus forts comme entre Danielle et Mauricette) et se retrouvent dans leur engagement féministe de femmes affirmées et autonomes. Elles ont une proximité avec la pratique du théâtre plus ou moins en lien avec leur parcours de vie, leur capital culturel (Danielle, Monique).
Dès le début, les femmes m’ont accueillie avec le sourire. Annie m’a fait quelques remarques un peu brusques (« Elle est chiante celle-là à tout noter » etc.) mais qui entrent dans sa perspective ironique. Il me semble que je ne les ai pas dérangées en tant que spectatrice et observatrice. Certaines ont fait des études, mon exercice leur paraît plus ou moins familier. Elles m’ont en outre presque gavée de chocolats et gâteaux avec toujours un grand sourire (elles m’ont rappelé mes propres expériences de « grand-mère-choco »).

Ce fut une observation assez éprouvante, en huis-clos, j’ai essayé de garder la même attention tout le long de ces trois heures mais ce fut difficile. A la fin, quand nous sommes rentrées, j’avais l’esprit assez embrouillé et je me sentais fatiguée : écouter et regarder, noter, faire des choix pertinents n’a pas été chose facile. Le fait de ne connaître ni la pièce ni vraiment ces femmes ne m’a pas aidée. Dans ces conditions, il est difficile de dépasser le stade de la simple description, qui ne me semble pas rendre compte de la complexité de cet ensemble dans lequel les rapports de parole et les gestes, notamment, sont très importants ne peuvent pourtant figurer qu’en annexe.

Ma deuxième séquence d’observation, compte tenu du calendrier du groupe, se déroulera le samedi 27 octobre lors de la représentation qui aura lieu sur la place de Mouscron, sous chapiteau, pour la « Semaine de l’égalité des chances ».
Il me faut donc modifier un peu ma grille d’observation pour y inclure notamment les nouvelles modalités. J’essaierai de davantage me focaliser sur les femmes (la pièce nous la connaissons désormais), de voir leurs relations dans ce nouveau contexte, où elles jouent le spectacle pour la deuxième fois seulement et devant des personnes dont elles connaissent une partie. D’autre part, de nouveaux aspects plus techniques et matériels, le son et la lumière par exemple, vont entrer en jeu, il me faudra dès lors observer davantage les directives que donne Rita, l’évolution de leurs relations avec elle lorsqu’elles répèteront etc. Enfin, je compte observer les relations qu’elles ont avec les personnes de la salle et les interactions avec le public (comment il réagit…).
Je conçois que cette séquence risque d’être encore plus éprouvante que la première : ce n’est plus un huis-clos de 6 personnes, mais une réunion de gens et d’associations divers sous un chapiteau. Il sera difficile de garder à l’œil les 6 femmes, je vais être amenée à faire des choix. D’autre part, la séquence devrait être plus longue puisque je vais y aller avec Rita, qu’il y aura d’abord une répétition et qu’on devrait manger sur place avant la représentation.

II.2. Compte rendu de la 2ème séquence d’observation

Ce samedi, j’apprends d’abord que Virginie (un peu plus de 20 ans), technicienne, membre du théâtre Croquemitaine, nous rejoint d’abord chez Rita. Elle est également défrayée comme Rita pour la représentation et va assurer la coordination « son et lumière » sur place. Nous avons ensuite rendez-vous sur place avec les femmes à 11h. Rita m’apprend qu’elles tiennent un stand depuis mercredi pour le collectif « Femmes sans frontières ».

Globalement, cette séquence d’observation viendra renforcer les premières remarques du compte-rendu précédent tout en y ajoutant d’autres modalités du fait du contexte et notamment de la présence d’un public.

Le Collectif participe à cette manifestation, organisée par l’adjoint au maire de Mouscron, en partenariat avec divers collectifs et associations. La programmation est diverse : il y a une jeune femme qui a gagné le concours de chant de la ville et le dimanche, un clown. Les femmes du Collectif sont donc les plus engagées sur le thème de l’égalité des chances hommes / femmes. Les autres visent davantage à attirer un public large mais ne s’inscrivent pas réellement dans cette thématique. Cette manifestation est gratuite et se veut donc ouverte, néanmoins j’ai pu observer que les interventions et les visées sont un peu différentes (j’ai remarqué notamment le stand d’une association curieusement appelée « Vie Féminine »). J’ai vu peu d’informations ou de publicités appelant à cette manifestation. Ce qui m’amène à penser que sont présents surtout des gens proches du milieu associatif, ou des connaissances. Peu de gens ont l’air d’être là par hasard. L’ouverture au public semble donc être relative. Cela soulève également la question du regard d’un public plus ou moins initié à la problématique.

Les femmes tiennent donc un stand avec affiches et prospectus sur la question de la violence à l’encontre des femmes, sur les problématiques de genre et les inégalités, il y a aussi des photos d’elles à la marche mondiale.
La disposition à l’intérieur du chapiteau n’est pas très propice à la représentation : un grillage au milieu, des chaises peu nombreuses et le contexte rendent la répétition et la représentation un peu difficiles.

Tout d’abord, je souhaite revenir sur notre arrivée pour montrer que les femmes -notamment Monique ou encore Annie- me reconnaissent mais ne se souviennent pas vraiment de ma dernière visite, preuve que je ne les ai pas dérangées. Elles me font toutes des sourires, je les suis un peu partout, au stand, sur scène, etc. De plus en plus, elles me confient des impressions individuelles, des informations. Mauricette porte plus d’attention à ma présence (elle me demande si ça va, si je veux boire quelque chose...) et se soucie surtout de ce que je peux bien écrire. Elle cherche notamment à savoir ce que je peux penser et tente en quelque sorte de légitimer leur jovialité, leur ouverture d’esprit, que peut-être elle pense contraires à l’idée que l’on se fait des « personnes âgées raisonnables » ; elle insiste sur leurs liens d’affinités : « T’as dû nous trouver rigolotes, non ? C’est parce qu’on s’entend bien ». Phiou plus tard me dira qu’elle est contente d’être dans ce groupe. Même Annie a tendance à rigoler de l’image des « vieilles » (elle relit tout le temps son texte : « C’est Alzheimer », dit-elle).

Très vite, elles se préparent pour la répétition qui se fait dans des conditions un peu difficiles.

  • ce sont les femmes elles-mêmes qui s’occupent de mettre en place le décor. Elles trouvent le fond « moche » (il s’agit de panneaux rapportant la visite d’un camp de concentration) et sont forcées de se fabriquer des coulisses. La scène n’a pas été prévue pour des allers et venues. Avec l’aide de Rita, elles modifient donc un peu le système d’entrées et de sorties, elles s’adaptent au lieu ;
  • elles doivent également s’adapter au micro (surtout qu’un seul est disponible pour la répétition). Ceci souligne l’aspect amateur. Il faut également adapter les gestes et les déplacements à cette nouvelle contrainte. (Phiou, la première fois, s’arrête de jouer et dit « Je ne sais pas parler là dedans moi »).
    C’est ce travail d’adaptation qui va être central pendant la première répétition. Toutes doivent s’habituer en peu de temps. Rita donne des conseils pendant qu’elles jouent pour ne pas perdre de temps, elle insiste sur l’impératif du regard du public. Debout devant la scène, elle pousse également à appuyer les effets humoristiques. Elle demande à Monique de refaire plusieurs fois sa scène. C’est Monique qui a le plus de mal à s’adapter aux nouvelles modalités. Et ce (pour revenir sur le manque de confiance en soi), d’autant que des gens regardent et que tout le monde entend ce qui se dit dans le micro. La question du regard des autres (dont certains sont connus) est centrale. Rita remonte sur scène et tente de jouer avec elle. Elle fera de même à la fin de la pièce. Plus tard, en parlant à Phiou, sans méchanceté, elle affirme que c’est un problème de « mouvement du corps, qu’elle brasse du vent ». On en revient aux déterminismes induits en partie par son origine et sa condition ouvrière. Il faut également noter que les passages incessants ainsi que le bruit rendent les conditions de travail presque pénibles.

Rita, comme à son habitude, refait un bilan à la fin de la répétition, elle tente de mettre Monique en confiance, de la rassurer. Elle revoit avec elle, phrase par phrase, son passage tandis que les autres rangent.

La question du regard d’autrui, l’inquiétude relative aux jugements est perceptible dans les critiques acerbes qu’elles émettent par rapport au bruit ambiant, et par l’impression qu’elles ont que les organisateurs n’aiment pas la pièce. La reconnaissance du travail collectif, qui les implique toutes, est aussi en jeu. Monique notamment profite de ce que Rita ne soit pas là pour expliquer que Rita l’a mise mal à l’aise (elle prétexte que le spot éclaire trop et que Rita l’a obligée à le regarder). Elle reviendra sur cette répétition lors d’une réunion suivante en affirmant avoir été mécontente, notamment après que sa belle sœur lui ait dit qu’elle trouvait que « Rita lui avait mal parlé ». Elle ne voulait plus faire de répétition dans ces conditions (face à des regards critiques de personnes non initiées à la pratique du théâtre).
Cette question est encore sensible quand Virginie met en place une caméra pour les filmer. Mauricette dira notamment par deux fois « Vous ne filmez que les bons moments, hein ? » ou encore Annie et Danielle montreront leur surprise. Le film les renvoie au regard d’autrui mais aussi à celui qu’elles portent sur elles-mêmes.

Pendant la pause de midi elles abordent également, partiellement, le rapport qu’elles entretiennent avec les hommes. Monique notamment semble marquer une séparation nette « S’il y a des hommes, on n’est plus un Collectif de femmes » (elle n’est pas d’accord avec Rita sur ce point).

L’heure approchant, les femmes s’activent, se changent, se maquillent, les visages se tendent. Elles sont sur scène, font des signes aux personnes (qu’elles les connaissent donc) qui arrivent de plus en plus nombreuses (le public est varié, il y a des personnes de tous âges et d’origine sociale diverse).

Rita annonce « une série de sketchs, faits par des femmes, sur les femmes » tout en demandant le calme. Un homme intervient alors ironiquement : « Je peux rester ? » ; Rita rétorque : « Battons-nous pour tous les droits humains ». Cela souligne la volonté d’interaction avec le public, volonté également observable dans la pièce. Rita se place comme moi devant la scène de manière à voir les femmes mais aussi les réactions de la salle. La pièce commence au moment même où se déchaînent les cloches, assourdissantes, de l’église de la place. Les femmes sont pourtant très concentrées, leur jeu est plus détaillé, plus expressif que ce que j’ai pu voir durant les répétitions.

La représentation est donc un enjeu crucial et pour elles-mêmes et du fait de l’échange avec le public, qui inclut une part d’improvisions. Ce seront leurs premières remarques à la fin : elles sont contentes parce que le public a bien ri, le rire étant conçu comme moyen de communiquer, de faire réfléchir. Et en effet, les rires (même provoqués par le silence), par là les effets de concomitance, ont été nombreux, aux endroits prévus qui plus est, notamment lors du monologue d’Annie (certaines femmes évoquent également leurs propres souvenirs). Les rires proviennent des femmes mais aussi des hommes, qui ne sont pas minoritaires. Certains ont sourcillé à l’évocation des « 343 salopes ».

Le public applaudit à la fin de cette scène sur le droit à disposer librement de son corps puis plus longuement au moment du salut. Les femmes enlevant leurs masques sont très souriantes, elles ont l’air satisfait. Le problème du micro a été en grande partie dépassé, elles ont joué comme prévu. Rita remonte sur scène et invite les « femmes à rejoindre le collectif » (…contradiction, le Collectif est avant tout, même inconsciemment, l’affaire des femmes, retour du principe féministe de non mixité) et à se rendre au stand du Collectif. Les femmes descendent, des petits groupes de connaissances se replient autour d’elles, peu à peu, pour les féliciter. Rita s’efface, nous partons. En me disant au revoir, pratiquement toutes me demandent quand je reviendrai les voir et il me semble qu’elles m’apprécient. Mauricette demande à pouvoir lire mes notes plus tard, je ne sais pas trop quoi dire, ma réponse reste ambiguë. En effet, je ne sais pas trop comment leur rendre compte de mes conclusions et surtout quel impact elles auront, et comment elles vont être reçues.

III. Conclusions

Pour conclure plus largement sur ce travail, les difficultés ont été nombreuses.
Tout d’abord, par rapport à mon sujet, l’observation de ce groupe ne m’a pas permis d’observer le processus créatif. Pour autant, les observations ont montré quelques signes. En effet, les textes ont été écrits par les femmes elles-mêmes, à partir d’une trame commune, collective. Je ne peux malheureusement pas statuer sur la part de chacune ni sur le travail d’improvisation et de conceptualisation préalables.

D’autre part, comme je l’ai dit déjà, les observations ont essentiellement été basées sur une simple description et ont permis de récolter un nombre important d’informations diversifiées, qui permettent de répondre partiellement à la question de base. Ce fut aussi l’occasion d’une première approche, intéressante, de ces femmes.

Même si ce fut vraiment éprouvant et tiraillant de devoir faire des choix, tout en observant, c’est quelque chose que j’ai finalement apprécié. D’autant que d’autres observations, mais aussi des entretiens individuels, ont permis d’approfondir certains points, de détailler des trajectoires de femmes engagées, qui restaient encore floues et hypothétiques.

J’ai également eu du mal à faire un compte rendu des observations, parce que cet exercice suppose un certain recul : j’étais en possession d’une foule d’informations et je pense encore que je n’ai pas réussi à en rendre compte comme je le voulais.

Plus largement, ce sujet m’a paru encore plus intéressant après qu’avant…. J’ai été très surprise par ces femmes qui m’ont fait rire, et qui m’ont amenée à en savoir toujours plus. Moi-même, j’ai été confrontée à la grande différence entre ces femmes et à la vision qu’en a la société, peut-être même plus particulièrement les jeunes. Je me suis rendu compte moi-même que l’évocation de mon sujet amenait mes interlocuteurs à rire un peu, parce qu’ils le trouvaient… surprenant. La question du féminisme n’est pas toujours prise au sérieux, encore moins chez des femmes âgées.
Le qualificatif retraité reste bien connoté.

Je dois avouer que c’est la première fois que j’avais l’occasion de rencontrer de telles femmes. En y réfléchissant, je me suis rendu compte que, à part les grands-mères, j’avais eu peu de contact avec des femmes retraitées. Ma grand-mère maternelle, d’origine bourgeoise, n’a jamais connu de situation professionnelle et a élevé 8 enfants. Comme nous sommes nombreux, je n’ai pas une relation très proche. J’ai une relation beaucoup plus proche avec ma grand-mère paternelle, bien qu’elle habite l’Allemagne. Elle a toujours été agricultrice (fille et femme d’agriculteur), elle ne s’est arrêtée qu’à cause de sa fatigue physique. Elle continue néanmoins à jeter un œil sur les activités de la ferme qu’a reprise l’aîné de mes oncles. Elle continue à s’occuper de la vente du lait.

Mes grands-mères n’ont pas vraiment eu d’occupations autres que familiales et ménagères. Elles sont très marquées par la sexuation des rôles (et la transmettent). D’autre part, ayant participé moi-même à des collectifs, entre autre féministes, ainsi qu’à des manifestations (le 8 mars, contre-manifestation anti-avortement, écriture et tractage sur la question des femmes battues) je n’ai pourtant jamais rencontré d’aussi près l’expérience de femmes de cette génération.

Enfin, mon travail n’est pas resté sans conséquences sur ce groupe. En effet, je n’ai malheureusement pas pu assister aux séances suivantes, mais elles ont fait une pause sur la question de la prostitution et ont commencé depuis décembre à travailler des sketchs sur la question de la double discrimination : âge et sexe, et pour travailler sur la représentation des femmes aînées.

Le projet initial ne semblait pas réalisable pour le 8 mars (cf. Mauricette dans seconde observation), elles reprendront la question de la prostitution la fois suivante. Cela montre également que leur intervention, leurs représentations ciblent des moments importants avec pour thème la question des femmes et que cela semble leur tenir à cœur.

Annexes
1ère observation

Les observations suivantes sont le fruit des notes que j’ai prises au vol, sur place et en partie aussi de mes observations, issues de la présente retranscription.

La salle communale est une bâtisse en briques, avec de grandes fenêtres sur chaque côté, un coin « évier bar ». Une des largeurs est recouverte d’une fresque (une peinture représentant des bouffons), il y a quelques tables et des chaises.
Les femmes arrivent toutes ensemble dans la Twingo d’Annie, par commodité, sans doute, parce qu’elles habitent toutes Mouscron sûrement. Rita est allée à leur rencontre pour rappeler que j’étais là. Je les entends alors qu’elles sont encore dehors, elles portent des sacs qu’elles posent directement en entrant sur une des tables puis me font la bise, elles ont l’air un peu gêné (je ne connais pas encore les prénoms, ma prise de note est un peu globale et je me décide à leur donner des surnoms selon leur apparence en attendant qu’ils me soient révélés dans l’action).
A peine entrée, Annie leur rappelle les cotisations (?). Toutes, sauf elle, s’affairent à installer la table et les chaises, à sortir les multiples boîtes de gâteaux et de chocolats (pralines, mignonettes, truffes) ou des « Tupperware » et à s’installer. Je les rejoins, Danielle me tend une chaise et je m’assois avec elles en bout de table à côté de Rita. Je ne sais pas trop où donner de la tête.

La séance commence ainsi par une réunion.
Danielle commence par faire le bilan du groupe à Rita et par dire qu’elles ont répété toutes seules le week-end dernier. Monique mime le fait qu’elles ont tellement ri qu’elle se « serait fait pipi dessus », ce qui fait rire les autres. Elles sont capables de répéter donc de manière en quelque sorte autonome, et elles soulignent d’elles-mêmes leur nature joviale et leur proximité affective : c’est un moment où elles s’amusent entre filles. Annie, un peu dépitée, regarde Rita tandis que Monique toujours en riant, la « charrie » et lui dit que c’est parce qu’elle est à droite, toute seule (jeu sur sa nature politique).
Rita intervient alors, elle sert de fil conducteur, elle débute en abordant l’organisation des représentations pour la « Semaine de l’égalité des chances » à Mouscron ; elle explique avoir obtenu des subventions pour le défraiement. Annie sort alors une blague sur le « besoin d’une souffleuse ! ». Mauricette dit que c’est du bénévolat (qu’elle souhaite le faire gratuitement) mais Rita explique que, comme elle est une professionnelle animant une troupe d’amateurs, le spectacle figure dans le catalogue « Art et vie » et bénéficie dès lors d’une subvention. Annie lance « T’es même pas intermittente ? » de manière ironique, et Rita rit, ce qui montre la proximité et l’ouverture entre les membres du groupe et Rita.

Puis, redevenant sérieuse, Rita annonce que pour la représentation, la troupe reçoit 473 euros -les femmes font « Oh ! »- et, continue Rita, elles toucheront chacune 25 euros. Elles font de nouveau « Oh » plus fort (125 euros sont pris en charge par les tournées « Art et Vie », le reste par la Province et les organisateurs). Rita récapitule, elles vont jouer samedi et dimanche (les 27 et 28 octobre), ce pourquoi elles n’ont pas le temps de jouer jeudi devant les jeunes. Elle commence à décrire le planning horaire, elles sortent toutes alors de petits agendas qui ont l’air déjà fort remplis ; elles répètent une heure avant la représentation de 14h sur place avec son et lumières. Certaines froncent les sourcils. Rita ajoute, pour rassurer, qu’elle espère que ce sera « sans micro » (la représentation a lieu sur la place de Mouscron, sous un chapiteau). Le dimanche, elles joueront à 14h, Rita s’inquiète du monde qui pourrait être à cause du « magicien » qui joue après. Elle montre ici son expérience stratégique par rapport au public, le magicien attirant davantage les jeunes et les familles le dimanche après-midi, elle craint qu’il n’y ait pas grand monde.
Rita se lève, c’est sûrement le signe qu’il faut commencer ; Mauricette propose des chocolats avant. Annie se lève, Mauricette me propose une truffe. En même temps, Rita se rassoit (Annie se rassoit) et propose aux femmes la date du 8 novembre pour faire un spectacle avec d’autres femmes, Monique est contente car elle n’avait pas vu encore la pièce de l’autre atelier. Elles regardent leurs disponibilités, Annie a un concours de tarte, Danielle rigole et dit que c’est intéressant, qu’elle irait bien si elles les mangent après (on remarque ici l’hétérogénéité des activités !). Dans le même temps, c’est Phiou qui me propose un bout de son gâteau aux épices. On se rend vite compte de leur caractère jovial, blagueur et surtout gourmand, qu’elles semblent partager et faire partager.

Rita se lève et demande un peu ironiquement « Vous êtes prêtes ? ». Annie va chercher son texte en le disant tandis que je regarde dans quel sens elles vont jouer. Je m’assois sur une table, face aux bouffons, et Annie lance avec un sourire :
"Elle est chiante celle-là à prendre tout le temps des notes !
En sociologie, y’ a toujours une chiante (je souris, les autres se préparent), quand on a une réputation, il faut la mériter."
En levant l’index, elle sort de la pièce (la porte est près de moi).
Evidemment, j’avais bien envisagé que la prise de note étant visible cela susciterait des réactions, se faire observer et ne pas savoir ce qui est écrit n’est pas une position facile à supporter. Il n’est pas simple non plus de garder son attention fixée sur 6 personnes, qui se moquent gentiment d’une jeune étudiante. Je n’ai cependant pas changé ma façon de prendre des notes.

Les autres femmes mettent tables et chaises sur les côtés et parlent du positionnement pour la mise en scène. Monique demande une précision sur une de ses entrées. Elles mettent des masques, posent des verres sur une table et se mettent en place, elles se regardent et se taisent, l’air concentré.

Rita frappe les trois coups.

Je ne rends compte ici que des interventions qui ont entrecoupé la première répétition (voir ci-dessus pour les autres détails).

1ère scène : Rita se lève, les femmes s’arrêtent de jouer, elle demande à Danielle de dire sa critique plus fort (d’accentuer sa colère). Elle mime la scène, tape du poing dans sa main, montre qu’elle doit davantage appuyer et dissocier les chiffres tout en s’approchant de Danielle. En retournant à sa chaise, Rita dit « On enchaîne », les femmes reprennent.

2ème scène : Annie, lors de son retour sur les femmes, s’arrête et dit qu’elle a oublié de parler du lavoir puis continue. A la fin, Rita demande de refaire la scène depuis « Toi, ton mari, il faisait quoi ? », soit l’intervention de Monique puis le monologue d’Annie.

4ème scène : Annie oublie de s’asseoir, Danielle le lui rappelle. Annie ne sait plus comment se positionner.
Rita annonce le noir.
Fin de la pièce, Rita applaudit, elles font le salut sans masques.

Annie justifie directement ses quelques oublis, voire parfois ses absences, par le fait qu’elle est fatiguée, elle courbe l’échine en parlant.
Les femmes restent à proximité de la scène, Rita approche sa chaise. Danielle dit alors qu’elle oublie beaucoup de choses par rapport à son texte. En fait, elles ont chacune un texte, finalisé au cours des différentes séances. Il n’y a qu’Annie qui l’a avec elle et qui s’en sert. Il faut dire que certains de ses passages -comme celui de ses souvenirs- sont assez longs. Rita m’a dit après que chacune avait voulu écrire son propre texte.
On peut également noter que Monique est moins présente dans la pièce, qu’elle n’a pas de rôle aussi affirmé. Danielle et Mauricette sont très soucieuses du travail théâtral.
Je note aussi que l’avancement de la mise au point scénique montre qu’elles ont pas mal répété déjà mais qu’il reste aussi une part d’improvisation. Monique demande davantage de précisions quant à l’organisation de la représentation : aux objets, à la disposition, à la façon dont elle doit se déplacer. Elle semble moins à l’aise que les autres et moins sûre d’elle, Rita lui dit que c’est difficile de parler d’espace alors que celui-ci va changer. Monique, pas rassurée, acquiesce en pinçant les lèvres. C’est maintenant Rita qui tourne tête et corps vers Annie qui s’arrête alors de bouger, les autres femmes sourient. Rita dit qu’elle ne sera pas loin si elle oublie, qu’elle doit rester concentrée. Annie sourit et dit qu’elle mettra son texte à portée de main. Danielle revient sur des détails qu’elle n’a pas dits, Annie fait mine de chercher dans son texte en pensant qu’elle l’avait dit.
Rita semble vouloir conclure « Il y a-t-il des choses qui ne vont pas ? ». De nouveau, Danielle fait son autocritique en disant qu’elle n’a pas regardé vers le public. Rita lui répond, elle se lève et insiste sur le fait que la partie « manif » et même l’ensemble doit être plus « jovial ». Et elle fait remarquer à Monique qu’elle l’a sentie plus à l’aise. Toutes la regardent comme en soutien, en souriant.

Rita propose alors une pause.
Annie intervient encore une fois sur un ton plaintif car elle est fatiguée. Elle explique qu’elle est en déménagement et que ses meubles sont arrivés huit jours après elle. Elle ajoute, l’air surpris et ironique, qu’elle a lu que les motifs de dépression sont surtout la perte d’un conjoint ou un déménagement. Rita dit qu’elle le sait, que c’est comme un deuil. Annie n’a pas l’air d’accord, elle fait la moue. Ensuite, elles vont toutes rejoindre la table avec les gâteaux, Annie met plus de temps, range son texte dans son sac, Danielle propose des chocolats aux autres femmes et se lève pour me tendre la boîte. Je suis de nouveau assise auprès d’elle à la table. Rita félicite Phiou pour le gâteau qu’elle a fait. Danielle commence à parler de la probable future pièce sur la prostitution. Elle aurait entendu parler d’un « bordel » nouveau près d’une école de Tournai. En même temps, Rita annonce que, à la fin du spectacle, elle invitera toutes les femmes à rejoindre le Collectif. Monique donne l’exemple de sa sœur qui viendra, elle est sans mari et donc connaît des difficultés, seule avec un enfant. Mauricette connaît une femme dans le même cas. Danielle dit en rigolant qu’elles devraient ouvrir une crèche. Rita revient sur le sujet de la pièce, abandonné entretemps, et conseille d’organiser une réunion, afin de voir les sujets qui viennent directement à l’esprit de chacune et de pouvoir faire le choix le plus adapté.

Danielle raconte avoir vu une femme aux jambes bleues (où, qui ?) dont la déposition n’a pas été prise par la gendarmerie à Mouscron. Rita rétorque, étonnée, que pourtant elle a le droit. Phiou enchaîne et dit fermement « Frapper, c’est frapper. ». Elle explique qu’il faut se munir d’un certificat médical avant de porter plainte. Mauricette se plaint du manque de suivi en général et Monique semble désespérée du fait que la violence n’est même plus un motif de divorce. Annie rétorque que c’est parce que les pensions alimentaires sont versées au pro rata de la durée de vie commune.

Après avoir joué une fois la pièce et autour des chocolats qu’elles se passent, les femmes du Collectif sont donc amenées à discuter de façon critique, et en intervenant presque toutes, à partir d’un cas particulier, de femmes seules et de femmes battues.
Mauricette interrompt la discussion et demande, en regardant Rita, si une nouvelle pièce est envisageable pour mars, pour la Fête des femmes. Danielle revient sur le 1er sujet (la prostitution) … Annie ajoute en rigolant « On fait ça dans une salle de massage et je voudrais être massée par Phiou » avec une voix un peu mielleuse.

Encore une fois, Rita intervient et précise qu’avant de penser à la forme, « il faut savoir ce qu’on veut dire ». Elle explique qu’il y a différents courants féministes sur cette question. Annie continue : « Y’ en a qui sont pour la légalisation », Danielle : « pour la protection ». Annie dit : « De temps en temps, y a des viols ». Danielle dénigre l’argument qui ferait de la prostitution une « institution d’utilité publique, pour les petits puceaux, dans le temps, ou pour les handicapés ». Annie continue en affirmant que dans les années 50 les « femmes étaient engrossées par les patrons et même, dans les usines, par les contremaîtres ». Danielle : « C’est le droit de cuissage hein ». Annie rigole et dit : « On pourrait pas engager des prostituées pour le faire ? ». Danielle, dans la même perspective :« Pourquoi pas traiter la prostitution des jeunes garçons ». Elles tentent ainsi d’élaborer des perspectives de travail mais, au final, il semble qu’elles aient du mal à se représenter elles-mêmes dans une pièce sur la prostitution. Mauricette, qui n’a pas donné d’avis sur cette question, s’intéresse davantage à la réalisation matérielle, elle pense qu’elles n’arriveront pas à faire un ou deux sketchs d’ici mars. Rita affirme qu’il y aura de toute façon quelque chose. Elle propose de réfléchir à des jeux d’ombres. Elle comprend donc que les femmes sont mal à l’aise, peut-être du fait de leur physique, de leur âge, de ce qu’elles devront jouer ; dans ce cadre, le jeu d’ombre est une technique intéressante pour flouter le corps, le rendre anonyme, jouer sur les mouvements etc.
Sans rien dire, Rita se lève, les femmes suivent le mouvement, on reprend rapidement. Je me rassois en face, Rita aussi, les femmes se mettent vite en place et s’apprêtent à rejouer la pièce.

Je ne décrirai plus le contenu et je m’arrêterai aux moments significatifs.
Rita intervient dans la première scène et lance à Danielle « Tu tournes le dos », pour qu’elle corrige, mais ça la déstabilise. Mauricette et Annie tentent de reprendre et de lui répéter son texte mais ça ne marche pas, Danielle ne reprend pas le fil, elle rougit, s’agace du fait de ne pas retrouver son texte. Rita demande alors de tout reprendre. Les deux femmes acquiescent. Danielle et Mauricette continuent d’essayer de se remémorer le texte en se regardant mais Rita frappe les 3 coups. Les femmes recommencent au départ. De nouveau, Danielle a un trou, de nouveau, agacée, elle file directement chercher son texte. Elles reprennent au milieu de la scène.
Plusieurs fois, Rita fera également la remarque à Monique : fais des signes avec les mains, parle ou chante plus fort. Annie a eu quelques hésitations. Dans l’ensemble, la deuxième fois m’a permis de mieux comprendre la pièce et montre que Rita intervient un peu plus sur des détails techniques, comme pour peaufiner une dernière fois. Après le salut final, nous applaudissons.

Tandis que les autres commencent à ranger, Annie parle à Rita du texte final, on peut également remarquer que Mauricette semble avoir davantage de proximité avec Danielle, elles se parlent plus souvent. Mauricette lui demande si ça va, elle lui dit qu’elle a l’air préoccupé. Danielle semble encore agacée : « J’sais pas pourquoi j’ai eu un trou. ». Phiou, Danielle puis les autres et Rita remettent tables et chaises en place et, de nouveau, nous retournons nous asseoir auprès des gâteaux. Rita, les mains sur les genoux croisés, affirme qu’elle est « confiante, qu’il faut juste revoir les textes ». Elles acquiescent. Elle conseille (en mimant avec sa bouche) d’articuler un maximum. Elle rappelle à Phiou de bien insister sur le lèche-vitrine. Elle demande de faire attention aux blancs et aux enchaînements, notamment à la fin. Elle demande de bien regarder le public surtout au moment des revendications. Elle dit à Monique d’être plus à l’aise. Monique encore une fois acquiesce et redemande un détail de son texte pour se rassurer. Rita propose finalement un tour de table « Quelqu’un a aussi quelque chose à dire ? ». Danielle, puis Mauricette, demandent s’il n’est pas possible de raccourcir une réplique d’Annie ; du coup celle-ci fait la moue, cache son air vexé. Plus personne n’en parle.

Rita clôt le bilan de la répétition et rappelle les conditions difficiles de la représentation sous chapiteau. Monique dit qu’il y a du chauffage, les autres ont un soupir de soulagement. Rita les regarde l’air amusé. Rita leur distribue l’invitation pour un stage de bouffon organisé à Tournai par un membre du Croquemitaine (mais qui a lieu le même week-end) et, d’un signe de la main, elle me laisse la parole. Toutes me regardent et sourient. J’avais préparé sur une des pages de mon carnet les grandes lignes de ce que je voulais leur dire, je voulais me présenter moi et mon exercice, les remercier d’avoir accepté ma demande et leur demander si elles voulaient bien répondre à ma série de questions. Annie marmonne alors : « sarkozyste », c’est sans doute en rapport avec les questions, je souris. Danielle avait des feuilles, elle en donne une à chacune. On dirait presque des écolières, stylo en main, prêtes à répondre. Phiou prend plus de temps à écrire. Au moment de la question relative au mari, Danielle dit en écrivant « Y en a plus ! », Mauricette continue et dit « C’est une espèce en voie de disparition ! » (elles revendiquent ainsi leur autonomie de femmes vis-à-vis des hommes), les femmes éclatent de rire.

Je demande ensuite comment le collectif s’est constitué et là c’est le début de la fin : je ne sais pas si c’est parce que c’est moi qui suis fatiguée mais à partir de ce moment je n’ai plus compris grand-chose. J’ai simplement retenu que certaines se connaissaient déjà, qu’Annie est devenue militante par le biais d’une connaissance féministe car, en tant qu’agent de l’Etat, elle ne ressentait pas directement l’inégalité hommes / femmes. Les femmes à chaque affirmation veulent toutes répondre, ce qui crée de petites discussions entre elles, certaines me parlent en même temps, bref, c’est le capharnaüm. Ca discute encore un peu puis les femmes se mettent à ranger tous leurs chocolats et gâteaux, remettent leurs manteaux. Mauricette me demande comment j’ai trouvé la pièce, je lui ai dit « très intéressante », elle me sourit, me fait la bise. Les autres aussi et me disent à bientôt, quant à Annie encore une fois, elle dit en regardant Rita « Elle doit nous prendre pour des folles », je dis que non.

En prenant un air intéressé, le sourire aux lèvres, elle me dit d’embrasser mon compagnon pour elle, faisant comme si elle avait un faible pour lui : « Je sais qu’il n’est plus pour moi » sous entendu : vu mon âge.
Elles repartent dans la voiture conduite par Annie qui klaxonne, les autres nous font des signes.

2ème observation

Je demande à Virginie si il est possible de filmer le spectacle, elle est d’accord, Rita aussi. Nous arrivons toutes les trois : c’est la place centrale de Mouscron, un grand chapiteau a été monté pour l’occasion sur le parking. En arrivant en voiture, je n’ai rien vu sur la route qui informe de la « Semaine de l’égalité des chances », ni même sur la place. Nous trouvons l’entrée, un stand distribue sacs et stylos avec le nom de la manifestation, qui est gratuite, ouverte à tous. Rita rencontre des gens qu’elle connaît, des organisateurs sûrement. A l’intérieur du chapiteau, il y a des stands alignés, une scène près de l’entrée, au centre des grilles qui portent des photos et, au milieu, la console technique. Les femmes du « Collectif sans frontières » tiennent le 1er stand, à l’entrée. Elles ne sont pas toutes là, Rita est un peu en retrait, Monique me regarde alors que je lui souris, mais elle ne semble pas me reconnaître tout à fait. Je m’avance et lui dis que j’étais venue à une des répétitions avec Rita ; sans que j’ai le temps de finir, elle fait « Oui, oui » en souriant de plus belle, et me fait la bise. Mauricette arrive et sourit, me fait la bise, me demande si ça va et « T’as dû nous trouver un peu rigolotes non ? ». Je réponds que je les trouve très sympathiques et elle explique alors « C’est parce qu’on s’entend bien », ce qui vient souligner les liens sociaux par affinités. Je fais la bise aux autres, il manque Annie. Elles portent toutes un long manteau et sont comme camouflées derrière leur écharpe. Il fait froid. Sur la table du stand sont posés des prospectus. Elles ont affiché des pancartes dont une bleue et une rose sur lesquelles sont collées des images publicitaires découpées, démontrant les stigmatisations et les vues marquées par le genre. Peut-être cette pancarte a-t-elle été fabriquée au moment de leur pièce sur la pub... Il y a également deux pancartes sur la violence à l’encontre des femmes, sur la nécessité d’en parler (numéros verts) mais aussi plus généralement sur ce tabou qui ne doit pas le rester, ceci est sûrement en lien avec la pièce sur les violences envers les femmes. Il y a également un panneau de photos sur la Marche mondiale des femmes, d’autres panneaux rendent compte encore du spectacle qu’a monté le théâtre du Croquemitaine au Vietnam (une pièce sur la marchandisation du corps humain plus particulièrement féminin « Au Cœur des Ténèbres »).

Avec Virginie, je fais le tour des autres stands, on retrouve entre autre les Femmes Prévoyantes Socialistes, l’association belgo-Laos, le MRAX. Quand nous revenons au stand, Monique prend Rita par le bras et lui montre la scène. Elle réfléchit à quelle table prendre pour poser les objets. Mauricette lance à celles qui sont restées à côté du stand : « Allez les filles, on y va », d’un ton entraînant. Elle voit le pied de caméra que tient Virginie et en grimaçant dit « Oh ». Le fait d’être filmées semble être un peu contrariant pour ces femmes : cela signifie pour elles qu’elles se verront jouer. Monique met en place des chaises devant la table qu’elle a portée avec Danielle. Annie arrive. Elle ne dit trop rien, regarde autour d’elle. Les femmes lui sourient, Rita lui demande si elle connaît bien son texte un peu ironiquement. Annie « ironiquement sérieuse » lui répond qu’elle l’a lu toute la nuit et que maintenant elle ne se souvient plus de rien. Elle se racle la gorge en disant qu’elle a la voix un peu enrouée. Rita lui conseille de faire des « rrrr ». Elle hausse des épaules, n’a pas l’air d’y croire vraiment et dit enfin bonjour aux autres femmes. Phiou l’appelle « mamie » en levant ses bras vers elle. Monique et Danielle sur scène regardent et discutent du fond, qu’elles trouvent« moche ». En effet, au fond de la scène, contre la toile du chapiteau, un mur de panneaux a été érigé qui montre des camps de concentration pendant la 2ème guerre mondiale. Sans même parler du sujet, pour le moins lugubre, les panneaux n’offrent pas d’uniformité.

Annie monte à son tour sur la scène (moi je suis assise depuis un temps sur le coin de la scène de manière à voir devant et derrière). Elle montre son pendentif, une femme qui tient à un cordon par une sorte de corde à sauter. Elle reproche aux autres femmes de ne pas l’avoir mis. (je me souviens que Rita a le même, elle m’avait dit que les femmes les avaient fait faire pour le Collectif), elle tient en main son texte. Monique finit d’installer chaises et tables et de disposer les objets qui ne sont pas tout à fait les mêmes que lors de la répétition. Je dirais qu’ils sont plus « classes » (les verres sont beaux, une bouteille contient un mélange d’eau et de sirop destiné à imiter l’alcool…). Annie s’en va faire un petit tour, elle serre des mains. Il semble que les gens présents, les associations se connaissent tous plus ou moins. Monique en préparant le plateau de verres, alors que je me suis levée et approchée d’elle sur la scène, est contente de me dire « et c’est vrai », qu’elle a payé les verres 50cts sur une brocante ; elle hoche la tête. Je lui réponds que c’était une bonne affaire.

Mauricette, Danielle et Phiou tentent de faire des coulisses car il n’est possible de descendre de scène que sur un côté et les escaliers sont plutôt dangereux. Monique s’en mêle et, dans un coin, essaie d’avancer un peu les panneaux. Rita ne dit rien, regarde. Mauricette lui demande si ça va avec un des panneaux avancé. Rita monte sur scène et avec Monique fait la même chose dans l’autre coin. Phiou installe deux chaises derrière chaque coin. Danielle regarde, perplexe, elle se dit que la scène et les coulisses sont un peu petites. Elles discutent alors de l’impact sur leurs entrées et leurs sorties. Pendant ce temps, Rita est redescendue de la scène pour parler aux organisateurs. Les quatre femmes (Annie n’est pas là) finissent d’installer le décor. Annie revient et, devant la scène, s’exclame en regardant le résultat des changements « Comme d’habitude, je fais travailler les autres. ». Les femmes n’en tiennent pas vraiment compte et vont chercher des sacs au stand, Annie me dit qu’elle n’est au courant de rien. Elle monte sur scène, on rigole un peu car elle inspecte les coulisses. Elle pose son sac ; en me regardant et en joignant le geste à la parole, elle me dit « Je vais mettre un mouchoir dans ma poche contre la goutte au nez », elle rit. Elle me demande si j’ai déjà vu la pièce et Monique, avant que je n’ai eu le temps de répondre, dit, tout en continuant d’installer des ustensiles : « Bah oui ! Elle doit encore prendre des notes ». Annie dit alors, en insistant, que je vais pouvoir l’aider si elle a des trous. Je souris. Toutes n’ont pas l’air de se souvenir de mon passage il y a deux semaines, preuve que je ne les ai pas beaucoup dérangées. Monique n’y porte pas un grand intérêt. Il n’y a que Mauricette qui s’inquiète de ce que je peux bien analyser.

D’un seul coup les spots s’allument, les femmes font « Oh ». Virginie a en effet fini par accéder à la console, elle se trouve désormais comme enfermée au milieu du grillage. Elle ne connaît pas la pièce non plus. Danielle rigole du spot rose tandis qu’Annie fronce les sourcils et met la main sur les yeux pour montrer qu’elle est éblouie. Monique et Danielle se taquinent…L’ambiance est encore décontractée, alors que des gens passent devant sans nous porter vraiment d’attention. Un organisateur a donné le micro à Rita et attend à côté. Alors qu’Annie relit une énième fois son texte, Rita annonce « Allez on y va ». Toutes s’agglutinent dans un coin. Je descends de la scène sur laquelle je me suis baladée avec les femmes et m’assois sur une chaise en face. Il y a du bruit, des gens rentrent parfois par simple curiosité dirait-on, ils passent devant moi. Mais, du fait des lumières et de la nouvelle mise en place, des personnes s’intéressent à la scène, une femme des FPS (reconnaissable à son badge) prend des photos.

Rita : « Ca commence », elle frappe dans les mains, debout devant la scène.
Mauricette et Danièle commencent la première scène, mais avec le bruit et au vu de la configuration de la salle, on n’entend rien. Rita prend le micro et dit « Stop, il va falloir parler au micro. », les femmes se regardent l’air inquiet. Elles ne bougent pas. Rita donne le micro à Danielle qui grimace, l’air ébloui, aussi. Elles reprennent, mais ça ne fonctionne pas très bien, Danielle a besoin de ses deux mains pour la scène, elle ne sait trop comment passer le micro à Mauricette… Rita monte alors sur scène et leur montre comment faire pour surmonter les deux, trois passages chaotiques. Elle demande au micro combien il y en aura de disponibles. Un organisateur s’approche, Rita discute avec lui. Les femmes inquiètes essaient d’écouter leur discussion. Danielle réessaie le micro, parle dedans. Rita descend, on recommence. Danielle ne tient plus un classeur mais le pose sur une des hautes enceintes. Puis, de nouveau, on n’entend pas Mauricette, Danielle lui a donné le micro un peu tard ; agacée, Rita crie de continuer. Lorsque Danielle doit dire sa réplique revendicative sur les grèves d’Herstal, sa voix passe mal dans le micro. Rita lui dit de tenir le micro droit. Elle est forcée de crier un peu pour qu’elles entendent, elle bouscule peut-être un peu les femmes. Elles n’ont pas l’air à l’aise, les autres n’ont pas encore essayé, ça marche peut-être moins bien qu’elles ne le pensaient. Elle dit à Danielle de laisser tomber le classeur et de regarder davantage le public. Danielle reprend. Rita l’interrompt à nouveau : « Tu ne regardes pas assez le public », Danielle tourne la tête et continue. Lorsqu’elle prend son manteau pour le brandir, Rita lui demande si c’est le même que d’habitude, Danielle acquiesce, elle lui dit alors qu’il serait mieux de ne plus le brandir mais de s’habiller. Danielle et Mauricette finissent la scène. Rita dit « C’est bien ».

Elle monte sur scène alors qu’autour de moi se chamaillent des enfants qui veulent s’approcher. Je n’entends pas ce que dit Rita sur scène, elle parle, elles acquiescent. Elle mime des passages du rôle de Mauricette. Elle voudrait qu’elles le refassent une fois, Danielle et Mauricette se remettent en place, Danielle a l’air tendu, Mauricette est davantage souriante. Il y a moins de monde qui regarde, les gens ont compris que ce n’était qu’une répétition. Danielle recommence mais à l’air de moins en moins à l’aise, sa parole se fait plus saccadée. Rita lui dit qu’elle a oublié une partie du texte, elle lui demande de recommencer. A la fin de la première scène, elle demande de poser le micro sur la table et de sortir de l’autre côté. Et enchaîne :« Tout de suite », les femmes s’en vont en chantant mais on entend que Danielle. Une des femmes qui prend des photos me dit en essayant de lire mes notes « Vous en avez des choses à noter ». Je referme alors un peu mon calepin et je lui dis que oui, en souriant. En même temps Rita demande de ne pas chipoter les objets posés sur la table (et c’est diffusé par le micro posé sur la table).

Les femmes commencent la deuxième scène (Annie, Phiou, Danielle, Monique). Rita dit à Phiou qui est censée regarder la TV de garder un point fixe dans le public. Au moment du massage, elle dit à Phiou de prendre le micro, Phiou s’arrête de jouer, la regarde et affirme « Je ne sais pas parler là dedans ». Elle prend le micro à Danielle, fait un essai et fronce les sourcils. Elles reprennent la scène ; Phiou est censée tendre le micro à Danielle, mais en le gardant en main, elle doit rectifier son premier geste, elle tenait le micro trop haut. Elle se montre agacée par ces manipulations (il s’agit d’un outil technique dont elles n’ont jamais eu à faire usage, c’est déroutant pour presque toutes, d’autant que leurs voix résonnent dans tout le chapiteau et que des gens les regardent). Monique entre et tourne le dos au public, Rita crie alors « Non, non, non ! ». Monique un peu déroutée comprend. Elle recommence la scène. On ne l’entend pas dans le micro, Rita lui dit de parler face au micro car, comme toutes les autres, elle a tendance à tourner la tête sans faire suivre le micro. Rita monte sur scène, la tient et refait l’entrée avec elle, elle lui tient le micro comme elle devrait le faire. Monique a l’air un peu perdu. Rita quitte la scène, Monique refait son entrée toute seule. Ça ne va pas, elle recommence, Rita remonte, lui demande de recommencer et l’arrête quand ça ne va plus. Rita parle plus doucement et plus calmement, avec le sourire, Monique finit par ne plus tourner le dos au public et réussit à maîtriser l’utilisation du micro. Rita redescend de scène. Les autres femmes regardent et attendent. Monique refait la scène en regardant Rita, qui lui adresse de temps en temps des signes. Annie lui en fait également un quand elle dépose le sac de médicament à ses côtés.

Quand Danielle redonne le micro à Monique, Rita monte vite sur scène et lui reproche une nouvelle fois -un peu agacée- de jouer de dos en lui montrant sa position et redescend vite. Monique recommence Rita crie de nouveau « T’es de dos ! » et s’avance devant la scène. Monique recommence, est encore une fois stoppée pour la même raison un peu plus loin dans la scène. Elle recommence. On observe encore une fois que Monique, dont l’intervention est la moins longue, est aussi celle qui a le plus de mal à s’adapter au lieu et au micro. Elle semble déstabilisée d’autant plus qu’il y a du monde qui regarde et entend. C’est qu’il y a un public à la répétition, même Rita semble un peu agacée. La situation est un peu difficile à mettre en place et ça prend peut-être plus de temps que prévu.

Dans le même temps, un des organisateurs commence à installer les quelques chaises. La disposition n’est pas optimale du fait des grilles. En outre, il y a toujours plus de bruit car des gens affluent. Le stand à droite de la scène, en face de l’entrée, est celui de « Vie féminine » (dont l’intitulé m’interpelle un peu face à une perspective féministe), on y vend des gaufres ce qui intéresse des familles qui font ainsi pas mal de bruit, juste à côté de la scène.

On arrive au sketch d’Annie sur les détails de la semaine d’une femme des années 50 (famille, maison..). Alors qu’elle semble oublier un temps le micro, qui descend, Rita lui lance « Hé, ho, hé, hé », Annie se reprend. Rita lui sourit, fait un mouvement de tête pour appuyer les temps de phrase. Puis, Annie a « un trou », il y a un petit blanc, elle tourne un peu la tête et reprend en oubliant quelques détails. Rita lui dit de marquer davantage un point d’arrêt à la fin, pour les rires. Avant, Annie mimait certaines phrases, ce qu’elle ne plus faire à présent avec le micro en main. Elle hésite de nouveau de temps en temps et finit la scène avec « Ce ne sont pas les femmes qui usent le linge mais le linge qui use les femmes ». Elle marque un blanc puis demande dans le micro si elle doit recommencer avec un petit sourire (elle se moque de ses propres hésitations). Rita lui dit que non, « on enchaîne », avec un mouvement de bras de cercle. Annie prend alors son mouchoir pour essuyer sa goutte, elle rit un peu en le faisant et en voyant que je la regarde.

Virginie, elle, assure le réglage du son du micro, le noir et lumières entre chaque scène et regarde, tout comme moi.
Les femmes enchaînent donc la troisième scène : Rita demande à Monique pendant la scène du thé avec Annie, tandis qu’elle tourne la cuillère, de regarder vers le haut de la salle (pour appuyer l’effet comique). Elle lui demande d’appuyer davantage le « au revoir » quand elle part. Elle demande ensuite aux trois femmes, à la fin de la scène, un « arrêt sur image » qui annonce le noir (Virginie le fait).

Le reste se passe bien jusqu’à la scène du vote : Annie oublie une intervention. Rita lui dit, elle rigole et recommence ; quand elle finit, elle dit elle-même « En mieux dit, c’est bien ! » en regardant Rita. Elles finissent masquées, tandis qu’Annie lit le texte. Elles saluent, Rita applaudit (les autres n’ont pas suivi).

Elles enlèvent leur masque. Rita monte comme à son habitude sur la scène pour tirer un bilan. Je l’accompagne. Elle parle en se rapprochant de Monique, toujours trop crispée avec le micro. Pendant que les autres récupèrent leurs affaires, Rita revoit la scène avec Monique, elles sont côte à côte et travaillent le rapport au public ainsi que la maîtrise des mouvements de micro et de tête. Les autres descendent, remettent leurs manteaux, des proches ou des amis viennent à leur rencontre. Rita répète toujours, bout à bout, avec Monique. Annie et Mauricette les regardent. Phiou vient me dire en se plaignant « On n’est pas habitué au micro et y a trop de bruit ». J’acquiesce. Monique répète désormais sans son avec le micro et Phiou est partie au stand du Laos, j’apprends plus tard que sa sœur est présente.

J’ai ainsi assisté à une répétition particulière, qui s’est déroulée dans des conditions difficiles (une seule répétition avant le spectacle de l’après-midi, avec l’impératif supplémentaire de réussir à maîtriser le micro. Phiou, Danielle et Monique ont eu un peu de mal à s’adapter. Le micro est un objet technologique avec lequel elles n’ont pas toutes le même rapport). Cette séance était donc un peu plus difficile et moins conviviale que celle à laquelle j’avais déjà assisté. Rita tente dans un style plus direct de rectifier les problèmes et de conseiller. Elle passe du temps avec Monique pour que ça marche mais aussi pour la rassurer, pour qu’elle n’ait pas d’hésitation.

Il est12h30.

Monique annonce qu’il y a des sandwichs au stand. Les femmes du Collectif sont plus ou moins éparpillées. Je rejoins Virginie, Rita arrive aussi et nous invite à prendre une soupe au stand. Nous allons commander, Phiou sort des sandwichs et nous invite à la rejoindre ensuite. Pendant que Rita passe la commande au stand des organisateurs, elle me raconte que ceux-ci se demandaient si je n’étais pas journaliste.

Nous nous asseyons au stand des femmes et partageons les sandwichs. Mauricette demande si Rita peut demander le calme avant la représentation, à cause du bruit. Monique acquiesce et ajoute qu’elle pense que l’ « organisation » n’aime pas la pièce, Mauricette dit aussi avoir entendu des remarques. Phiou et Danielle haussent des épaules, Rita dit qu’elles se font des idées. Monique, et sans doute Mauricette, se posent plus de question sur leur propre apparence et elles prennent en quelque sorte pour elles le regard que portent les autres sur la pièce. Il y a notamment beaucoup de personnes engagées dans des associations et qu’elles connaissent ...

Rita demande si Monique veut qu’elles refassent son entrée, Monique se bloque, elle ne veut pas. Rita change alors de sujet, parle des sapins qui sont dans le chapiteau entre les stands, Mauricette raconte que mercredi ils étaient gelés.
Mauricette se lève et nous demande ce qu’on veut boire, elle va chercher les boissons. Rita s’en va aussi, Monique dit alors à Virginie que le spot central est trop éblouissant mais que « ça va quand même » (critique ou demande cachée ?). Elle ajoute en me regardant que Rita l’a en plus obligée à le regarder. Peut-être Monique en veut elle à Rita pour son insistance un peu brusque ?Rita m’a raconté, un peu surprise, qu’au bilan de la semaine suivante, Monique a abordé le sujet et a déclaré ne plus vouloir répéter dans ces conditions. Une de ses sœurs lui avait fait une remarque sur la façon dont lui parlait Rita. Ainsi, le regard extérieur, critique, peut-être étranger à la pratique du théâtre ou au fonctionnement du groupe, est venu exercer une pression supplémentaire sur Monique. D’une certaine façon, Monique critique l’autorité qu’a exercée Rita, même si c’était finalement dans le but d’améliorer sa prestation. Par le fait même d’en parler cependant, elle revendique un meilleur fonctionnement. Avec Rita, elles ont pu trouver un terrain d’entente.

Annie arrive avec une bouteille de vin blanc, Rita qui revient lui lance « Voilà l’alcoolique ! ».
Elles parlent d’un prospectus (relatif au Collectif) qu’elles ont sous les yeux. Mauricette demande ironiquement « Et si des hommes téléphonent ? ». Monique qui prend ça très au sérieux estime que « S’il y a des hommes, c’est plus le même jeu, on est un collectif de femmes. » ; elle affirme ainsi sa volonté de rester dans un groupe non mixte ; il faudrait définir ce qui changerait à ses yeux pour comprendre cette nécessité (il s’agit peut-être de la liberté d’expression des femmes sans le regard des hommes… ?). Rita rétorque « Bah, ils peuvent venir ». Alors qu’Annie a posé la bouteille, elle dit en riant « On avait dit : pas d’apéro ». Monique et Mauricette surtout parlent à nouveau du bruit, des organisateurs, ….. Alors que je regarde le stand je vois une chaussure au milieu des feuilles. Monique me dit que c’est pour symboliser « Femmes en marche » et que c’était une idée de Mauricette. Rita dit qu’il faut en mettre plus (il est vrai que ce n’est pas très compréhensible au premier abord). Mauricette intervient alors et dit qu’elle avait voulu mettre des vieilles baskets et que Monique avait trouvé ça trop masculin. Elles se renvoient donc la balle et Monique souligne encore la frontière qu’elle a érigée quant à la présence d’hommes dans le collectif. Rita leur dit que le stand est joli (il y aussi des patchworks de Monique). En dehors du théâtre, elle n’est pas impliquée dans l’organisation du collectif dont les membres se voient plus souvent.

Rita, Virginie et moi allons nous balader un peu et boire un café au chaud. Rita m’avoue que la répétition a été un peu difficile et espère seulement que ça ira. Il devrait y avoir un deuxième micro ce qui en rendra la gestion plus facile. Nous revenons sur la place, (c’est en lisant les petites affiches, qui ne sont collées que sur le chapiteau, que j’apprends que l’évènement est organisé par un échevin -un adjoint au maire- de Mouscron). Quelqu’un de l’organisation court sur la place en tirant un haut-parleur sur roulette et, au micro, invite les gens à aller faire un tour dans le « Village de l’Egalité des chances ». La plupart des gens sont en voiture, vitres fermées. Rita lui lance qu’il est devenu« difficile de discuter avec les gens de nos jours ! ». Il sourit, un peu embarrassé. Nous rentrons sous le chapiteau, il y a davantage de personnes. Je ne vois pas les 5 femmes, j’aide Virginie à installer le pied et la caméra. Un responsable technique arrive, il est en fait défrayé pour le spectacle suivant (une jeune fille qui a gagné un concours de chant). Il n’était pas au courant de ce qu’il y avait une représentation du théâtrale avant, mais il veut bien prêter son micro.

Je retourne près du stand, Phiou parle en laotien ; je suppose que c’est avec sa sœur, il y a aussi une jeune fille. Mauricette me prend par le bras et, avec un grand sourire, me demande si tout va bien, si je n’ai pas besoin de quelque chose, me dit qu’il ne faut pas que j’hésite à lui demander. Je lui réponds que ça va et je lui demande si pour elle « ça va aller ». Elle me dit que oui, une connaissance approche, Rita aussi. Mauricette présente alors les deux femmes, l’amie de Mauricette se souvient de Rita lorsque, à la FGTB, elle avait « mouché » son supérieur, ce qui la fait encore rire, Rita ne s’en souvient pas.
Cette petite scène m’amène à confirmer le constat que la plupart des gens présents sont membres d’un réseau large de personnes engagées, de connaissances. Peu de gens sont là par hasard.

Phiou et Rita sont assises derrière le stand. Phiou dit en me regardant que ça fait deux ans et demi qu’elle fait du théâtre et que sa 1ère création (celle-ci ?) ça veut « beaucoup dire » pour elle, qu’elle « est contente d’être dans ce groupe ». Rita lui dit qu’elle a fait des acquisitions techniques rapides. Elle la compare avec Monique qui, selon elle, « ne bouge pas pareil », n’a pas le même corps et « brasse du vent ». Elle fait ici une description un peu sévère du capital technique théâtral de Monique. Elle continue en disant que « l’essentiel, c’est qu’on comprenne ce qu’elle dise ». Monique et Annie arrivent, ce qui clôt évidemment cette discussion. Phiou demande où elles étaient, Monique répond qu’elles étaient allées voir son copain. Toutes font « Oh, là, là », comme des adolescentes. Vu qu’elles sont toutes là, Danielle annonce que la date du 8 novembre (pour la rencontre avec un autre groupe) est annulée. Annie soupire, sort son agenda, Phiou également et elles annulent ce rendez-vous.

Mauricette relance ensuite la discussion sur leur projet de pièce sur la prostitution. Annie rouspète « Tu me vois dans le rôle de la maquerelle ? », Phiou ajoute en rigolant, « On te mettra pleins de bijoux » et Annie répond en agitant les mains « Je serai un arbre de Noël ». Cette discussion encore une fois sur le ton du rire montre leurs difficultés à appréhender le sujet surtout quant à sa mise en forme. Rita lui lance « Et pourquoi pas ? », Annie lui répond sur un ton ironique « Ca m’irait comme un gant ! ». Danielle rappelle qu’elle a entendu parler à la RTBF du fait qu’il y ait « un nouveau bordel ». Ceci montre, de façon générale, qu’elles souhaitent partir de faits locaux. Elles discutent ensuite entre elles, c’est difficile à suivre.

Je retourne voir Virginie et la vidéo. Annie voit le pied de la caméra à son tour et demande, toute étonnée, en fronçant un peu les sourcils, « Vous allez filmer ? ». Je réponds que oui, alors elle lève les yeux au plafond et s’en va lire sérieusement son texte. Mauricette nous regarde également et nous dit « Vous ne filmez que les bons moments, hein ? », ce qui souligne encore une fois leur appréhension à se regarder jouer et finalement la manière dont elles croient que les gens les ont vues. Elle nous demande également encore une fois si on n’a pas soif ; elle a une tendance à materner, qu’elle souligne elle-même ironiquement : « Je fais le service » dit-elle, en se courbant un peu.

L’heure de la représentation approchant, davantage de monde arrive dont beaucoup de connaissances des femmes qui jouent : certains leur font la bise, d’autres discutent à leur stand ou encore leur font des signes de loin. Les femmes s’activent, cherchent des choses dans leur sac, Danielle se remaquille. Mauricette me demande alors de nouveau si je note tout « même le bisou que je viens de faire ». Je lui réponds que je ne l’ai même pas vu, elle me demande si je ne les prends pas trop pour « une bande de ouf ». Elle se justifie, me dit que ce n’est pas tous les jours comme ça. C’est une intervention qui souligne la propre vision que Mauricette à de son groupe en rapport avec l’image que, selon elle toujours, l’on « devrait » avoir. Annie relit toujours son texte (qu’elle a écrit elle-même, à la main) ; quand je passe à côté d’elle, elle me lance « Chez les mémés c’est normal, c’est Alzheimer qui commence ». Elle aussi se moque finalement de l’idée de la vieille. Phiou se change quant à elle dans les coulisses, derrière les panneaux. Toutes sont autour ou sur la scène désormais. Rita arrive et demande à Monique et Annie de faire un essai micro. Les femmes s’activent, certaines ont des visages tendus. Les spectateurs commencent à s’asseoir sur les chaises éparpillées. Le public est diversifié : personnes âgées, personnes seules, en couple, en famille, enfants et petits enfants. L’origine sociale semble variée, populaire mais visiblement aisée aussi.

Les femmes se préparent dans le coin gauche, Danielle, Monique et Rita reconnaissent, en les montrant du doigt, des personnes dans un public d’une vingtaine de personnes. Une femme me demande même, alors que je suis assise près de la console en face de la scène, si je prends les commandes, elle voudrait un café. De là où je suis, je ne peux pas suivre ce qui se dit sur scène avec Rita. Toujours plus de gens arrivent, il manquera bientôt de chaises.

La musique d’ambiance s’arrête, Rita annonce « un court spectacle réalisé et créé par des femmes » « déjà la quatrième réalisation du Collectif au travers des ateliers de théâtre-action. » Elle demande un peu de silence. Un homme, dans le public, demande en regardant les autres hommes autour de lui : « Je peux rester ? ». Rita répond avec un sourire « Battons-nous pour les droits humains », incluant ainsi les hommes. Rita descend. Danielle et Mauricette sont en place, elles ont éclairées.

La pièce commence. Il y a d’abord quelques problèmes d’ajustement des deux micros. Les femmes ont quelques difficultés à penser leur déplacement avec le micro. Pendant la représentation le bruit monte, notamment du fond du chapiteau, ensuite la cloche de l’Eglise de la place sonne 14h, c’est long, assourdissant. Des ados d’origine populaire se baladent, font autre chose. Monique relit son texte (et c’est visible) alors que les autres jouent. Quand vient son tour, elle le dépose. Son monologue trouve écho chez les femmes de plus de 50 ans, qui acquiescent en souriant, certaines se mettent à parler de leurs souvenirs, rires et applaudissements ponctuent la chute. Des gens arrivent encore, restent debout, il y a désormais une trentaine de personnes. Les scènes qui devaient amener des rires (quand elles boivent, sur « Salope ») atteignent bien leur but. Le jeu est plus détaillé que lors des répétitions auxquelles j’ai assisté, elles sont plus expressives, ajoutent de petites remarques ou font des mimiques humoristiques. Quelques hommes sourcillent sur les « 343 salopes ». Les femmes maîtrisent toutes plus ou moins le micro dans le maintien et l’élocution si bien qu’on ne voit pas les quelques difficultés de tout à l’heure. Annie oublie de se lever de derrière la banderole, Mauricette l’appelle un peu. Le public applaudit une première fois après les revendications sur l’avortement et la contraception. Il y a désormais un brouhaha permanent, notamment d’enfants. Rita est sur un des côtés, j’ai du mal à la voir à cause des panneaux, les femmes semblent ne plus regarder dans sa direction lorsqu’elles jouent. A la fin du spectacle, les applaudissements sont forts et assez longs tout au long du salut, les femmes restent un temps sur la scène puis, tandis que les applaudissements faiblissent, s’en vont prendre quelques affaires. Rita en profite pour monter sur scène et invite les femmes à rejoindre le théâtre comme moyen de s’exprimer : « il n’y a ni âge, ni critères, les différences sont les bienvenues ». Elle appelle à aller voir le prospectus de contact des Femmes sans frontières. Le public applaudit de nouveau. Un organisateur monte à son tour sur scène et remercie le Collectif pour sa pièce, il invite à regarder les stands et annonce la suite du programme, à 16h, « La belle voix de Mouscron » (il s’agit de la gagnante d’un concours de la ville).

Je rejoins Rita et les femmes sur scène, elles commencent à ranger. Rita, comme à son habitude, fait un petit bilan, « Quelques petits problèmes micros mais c’était bien », en souriant. Elle demande à Annie si elle avait bu ou s’était endormie ? Ironiquement. Annie sourit sans répondre. Elles parlent des cloches qui ont sonné un quart d’heure, Mauricette dit que « heureusement il y avait les micros sinon il aurait fallu s’arrêter et attendre ». Danielle se montre satisfaite de l’attention du public, Monique ajoute que « ça a pas mal ri ». Annie finit les verres du plateau et elle me dit comme dans l’oreille que c’est du blanc (celui qu’elle avait apporté). Elles commencent toutes peu à peu à descendre, des gens les attendent devant la scène. Elles leur demandent comment ils ont trouvé la pièce, s’ils ont bien aimé…un monsieur répond « C’est rigolo comme tout ». Mauricette lance « Là-dessus, on va bien boire quelque chose ? ». Elles parlent toutes à leur manière du micro, Phiou fait la petite fille avec sa sœur.

Rita demande comment ça se passe pour elles après, Monique dit qu’elles se voient demain à 14h avant la représentation. Rita décide de partir, je félicite Annie et lui dis au revoir. Elle fait de nouveau une blague à propos de mon compagnon : elle trouve dommage que je ne l’ai pas amené avec moi, elle mime avec ses lunettes « juste pour regarder ! ». Les autres sont déjà un peu dispersées, entourées de petits groupes de connaissances. Je fais la bise, presque toutes sans exception m’ont demandé si je reviendrai, notamment demain pour leur seconde représentation. Je dis que ce n’est pas possible, mais que je serai contente de les revoir une prochaine fois. Mauricette me demande plus particulièrement de pouvoir lire, plus tard, tout ce que j’ai noté. Question à laquelle je ne sais pas trop quoi répondre, je réponds que…peut-être… plus tard.
Nous partons, il est 16h. Une jeune fille, « La belle voix de Mouscron », se prépare, chantonne quelques vieux airs. Je ne vois pas trop quel est le lien avec l’Egalité des chances sinon peut-être qu’il s’agit d’attirer des gens ?