Nous y voilà. Le début du voyage de l’autre côté du miroir. Chez les fous, les dangereux, les malades. Les incontrôlables. Voilà pourquoi moi je suis là, en tout cas. Parce que je ne crois pas à cette image de rebuts de la société qui colle à la peau des personnes soignées en psychiatrie. Parce que je ne crois pas que ce prétendument “eux” soit si différent du “nous” qui vivons hors les murs.

En regardant autour de moi, je vois partout des gens malades d’être en vie parce que ce monde nous fait souffrir à en perdre la tête. Nous cherchons une consolation au vide de sens qui nous hante, dans la drogue, l’alcool ou les jeux, quand d’autres se noient dans le travail, le consummérisme ou la pensée dogmatique. Dehors comme dedans, ne sommes-nous pas tous un peu fous ?

Pour beaucoup, notre éducation, ajoutée à la pression sociale, sont parvenues à étouffer en nous les plus beaux débordements enfantins, a inhibé nos éclats et à nous réduire à de petits êtres effrayés, sursautant au moindre bruit extra-ordinaire.

Erasme disait “ C’est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous “. Notre réalité ne cesse de nous échapper, et nous en payons le prix. A coups de dépressions, de suicides, de surmenages.

Le “mal”, les maux”, ne sont pas affaire de minorité. C’est de croire que tout le monde est normal qui est une illusion. C’est de croire que l’on peut traverser la folie de ce monde sans qu’elle nous laisse de marques.

Il y’ a autre chose, évidemment. Ces maux qui ne sont pas les séquelles du monde que nous subissons. Ceux qui semblent naitre de nous-même. Psychotique, schizophrène. ces mots me parlent peu, ils sont des symptômes là où je veux rencontrer des personnes.

Il m’a toujours été terrible d’imaginer son propre esprit, son propre corps devenir une prison. Une prison dont on ne peut pas s’évader. Ou alors en se détruisant. Je suis formellement opposée à toutes formes de médicamentation destinée à pacifier les individus, parce qu’on les préfère en légumes plus facile à gérer. Mais je suis forcée d’admettre que des traitements ont permis à certaines personnes de vivre la vie qu’ils s’étaient choisis. Au lieu de juste subir leur “maladie”, leurs “phases”, ou quel que soit le nom qu’on donne, certaines personnes ont obtenu une maîtrise sur le cours de leur existence. Ce qui est à mes yeux une condition inaliénable à l’émancipation de toutes et de tous.

Je n’oublie pas non plus que beaucoup d’autres sont placés sous camisole chimique, mais aussi d’émotions et de jugements, privés d’eux-mêmes. Je n’oublie pas que dans beaucoup d’hôpitaux, la psychiatrie signifie arbitraire, prise de pouvoir, abus, viol constant de toute intimité, torture mentale voire physique.

Et je ne veux pas oublier non plus que dans la plupart des hôpitaux, on soigne les symptômes sans se questionner sur la cause profonde.

Mais aux Marronniers, j’ai de la chance. Le peu que j’y ai vu jusqu’à maintenant m’a plutôt agréablement surpris. Outre le cadre (les arbres, les pelouses, les ânes, et les chèvres), l’écoute des médecins, psys et éducateurs est étonnante. Pourtant, ma démarche n’est pas classique, et certes pas facile à accepter.

Pas d‘observateur, pas de blouse. Pas de malades d’un côté et de personnel soignant de l’autre, mais des personnes, ici et maintenant, qui prennent les mêmes risques, les mêmes dangers, le même plaisir. Qui offrent l’espace d’un instant la possibilité de faire tomber les masques. Ainsi, chacun révèle d’autres facettes, au-delà des fonctions. On peut créer d’autres liens, un autre type de confiance naît, émergeant de l’expérience commune. Pas de Molière, de Shakespeare, de texte à apprendre par coeur. Du mouvement, du son, du brut, du vivant. Sans forme parfois, surréaliste souvent, inutile tout le temps. A l’opposé d’un moment de divertissement, d’occupationnel, de préoccupations esthétiques ou intellectuelles.

Le voyage ne sera pas aisé. Il sera semé d’embûches. Mais il a semblé important de partager le parcours qui commence ici, aux Marronniers. Créer des passerelles, contribuer à détruire les stéréotypes sur les personnes soignées, passer au-dessus des murs. Ces lieux sont nos miroirs de l’ombre, où nous acceptons de cacher tout ce qui nous fait peur au plus profond de nous. Faisons un peu de lumière dans les méandres de nos consciences.