Janvier 2012

Extrait de “Carnets de création au Burkina Faso - 2010”

Le marché de Thyou, la commune dont fait partie Goumogo, se déroule tous les trois jours. C’est l’un des seuls lieux d’échange et de sociabilité entre toutes les familles, les cours, les villages.
À Thyou, il y a trois ou quatre maquis, où il est possible de boire une bière, parfois bien fraîche, parfois pas trop, ou pas du tout... Température du casier. Quelques kiosques, plus ou moins propres, où l’on peut manger un riz gras ou boire un Nescafé.
C’est le bourg de la commune.

A Goumogo, pas d’électricité, donc pas de TV, en dehors d’une ou deux fonctionnant sur batteries. En dehors des transistors, pas de contacts avec "les médias".
Pas de café non plus.
Le forum du village, c’est le télécentre, pompeusement appelé ainsi parce que dans une des cases, on peut y acheter des recharges d’unités pour les portables. En face il y a le boulanger qui cuit du pain, en soirée. Il tient aussi une "épicerie", on peut y acheter des cigarettes à la pièce et il a parfois un ou deux paquets d’Hamilton en dépannage, pour des riches comme nous. Il vend aussi du sucre, au détail, quelques boîtes de concentré de tomate, une poignée de bonbons et quelques paquets de biscuits, ce doit être à peu de chose près tout son stock.

Le terrain de foot tout pelé est à deux pas. Dans le coin, on trouve aussi le "bal poussière", soit le night-club. Mais il ne faut pas rêver, c’est un simple terrain enclos d’un mur haut de deux mètres. L’éclairage est l’un des plus beau qui soit, la belle étoile et la lune.

Le marché, est le principal espace public, avec tous les parents qui se croisent (le concept de famille est autrement plus large qu’en Europe) et ces cabarets à dolo (la bière de petit mil). C’est aussi presque le seul lieu où se réalisent des échanges économiques, entre locaux, avec des revendeurs venus des villes.

Mais les marchandises au sens où nous, occidentaux, entendons ce concept ne parviennent pas ici.
Les produits industriels sont réduits à très peu de choses. Et encore, depuis peu l’industrie chinoise permet l’étalage d’une fausse abondance, avec des produits bon marché, beaucoup de plastiques criards, mais de qualités souvent "moyennes". En dehors de ces chinoiseries, ce sont les "France au revoir", vêtements et chaussures de deuxième, troisième main.

Beaucoup de produits sont encore issus de l’artisanat local. Des forgerons travaillent des couteaux, des outils agricoles. Des menuisiers réalisent des tables, des fauteuils et des lits en assemblant des branches bien calibrées avec des morceaux de peaux, ou plus moderne, avec de la ficelle de nylon. Des boules de savons artisanaux fabriqués par les femmes avec du beurre de karité, de la soude et de la poudre à lessiver. Un vendeur de calebasses, ustensiles courants pour la cuisine, évide des fruits en forme de gourdes.

On peut même y trouver des remèdes artisanaux, des médicaments de toutes sortes d’origines, quelques accessoires du bon musulman, les ingrédients pour faire des gris-gris, des petits sachets de poudres qui soignent le ventre, le dos, la tête. A côté se négocient toutes les pièces détachées pour les vélos, quelques-unes pour les mobylettes, des stands pour recharger les portables avec un petit groupe électrogène branché sur des rallonges multiprises, des piles, des lampes de poches, et pour tout ce dernier matériel, sous quasi monopole chinois.
Beaucoup de vendeurs à la pièce, les vendeuses de beignets, d’arachides, de pains, de bananes, de cigarettes, de mouchoirs en papier.

Il y a encore les produits agricoles locaux, à cette saison, tomates, oignons, patates douces, gingembre, ail, piments, choux, aubergines. Peu de fruits ; quelques bananes, une ou deux pastèques, ou papayes, ils sont en retard cette année. Des épices, des boules de l’odorante sambala, du poisson séché, de petits paquets de poivre noir. Et puis les poules et les pintades liées en bouquets, les cabris qui pleurent et plus loin dans un coin, derrière la mosquée, quelques boucs, des chèvres, des moutons.

Le village de Goumogo sur Google Earth


Agrandir le plan

On se croise, se recroise, c’est chaque fois grandes salutations. Un cousin, un ami, un parent quelconque. Le blanc est une denrée rare, regardée avec curiosité, parfois avec crainte chez certains petits. C’est aussi parfois source d’inflation dans les prix, voir d’hyper-inflation. En faisant nos courses avec l’un des Super Etoiles, les prix restent raisonnables. Tout au plus nous suggère-t’on, d’acheter plutôt chez un parent ou quelqu’un du village, qu’à un inconnu.

Cela fait la troisième fois ce matin que je dis bonjour à Mamadou, que je lui serre la main et que je le rassure sur ma santé et l’occupation heureuse de ma matinée. Mais cette fois, nous embarquons Jean et Mohamed. Ousman nous rejoint et nous nous rendons au maquis des sports. Même si la bière n’y est pas fraîche, c’est leur fief et puis l’endroit à un petit côté "m’as-tu vu", à la mesure du patelin qu’est Thyou.
Mohamed m’explique le travail qu’ils ont réalisé, les répétitions avec Mahamadi. Il aborde les projets des Supers Étoiles. Ils voudraient changer de local, construire une nouvelle case près du bal poussière, encadrer les jeunes orphelins ou en rupture scolaire et sociale avec une sorte d’école de la deuxième chance. On évoque l’idée d’une formation artistique parallèle à une formation professionnelle. Ils voudraient intégrer des jeunes désœuvrés dans leur groupe et leur proposer en échange d’une formation au théâtre, à la musique et la danse, de suivre une formation à la couture ou à la fabrication de séchoir.

Je trouve l’idée formidable.Surtout la fabrication de séchoirs. L’autosuffisance alimentaire est loin d’être assurée. Personne ne refuse une invitation à manger, pas un grain de riz ne reste dans les assiettes. Lorsque Angélique propose une simple assiette de riz avec un peu de sauce à un petit de 6 ou 7 ans, il est ravi et encore plus lorsque nous lui permettons de manger avec ses doigts (à la campagne, la fourchette n’est pas dans les usages). Lorsqu’il a terminé, l’assiette est propre. Inimaginable avec les enfants européens... Essayez de leur faire avaler un bol de riz comme celui-là...
La soudure entre les récoltes n’est pas assurée chaque année. Cette année, certaines familles vont souffrir.
Des séchoirs devraient permettre de conserver des productions comme les mangues ou les tomates qui lorsqu’elles arrivent à maturité, arrivent toutes en même temps sur le marché, et dont le prix dès lors chute. Il n’y a pas de moyens de conservation. Toujours l’absence d’électricité, donc ni frigo, ni congélateur. Le sucre est cher, la stérilisation est aussi trop chère ; où trouver bocaux, caoutchoucs, couvercles ? On sèche bien certains aliments, comme le poisson, mais directement sous les rayons du soleil, qui détruisent beaucoup d’éléments nutritifs. Le séchoir devrait permettre à peu de frais de stocker pas mal de fruits et légumes, qui au lieu d’être vendus sans profit sur le marché, pourraient assurer au moins une partie des besoins des familles pendant la période de soudure.

Mais reste à vérifier beaucoup de données. La faisabilité... Trouve-t-on ici, du moins à une distance raisonnable, le matériel pour construire ce séchoir : vitre ou plexiglas, scie, moustiquaire, charnières, vis, clous, etc. Le dénuement est tel que la question doit être posée pour chaque élément. L’outillage est des plus rudimentaires : des machettes, des daba, l’agro-foresterie ne dispose même pas d’une scie. Ensuite il faut vérifier que les séchoirs soient utilisés et leurs productions consommées dans la famille, ou revendues sur le marché pour être échangées contre d’autres marchandises.
Cela peut sembler évident que lorsqu’on a faim, on ne peut que souscrire à une aussi belle idée.
Mais...
C’est facile, vu de loin... Pourtant l’alimentation est liée à la culture, il nous répugne de manger du chien ou des insectes, nous aimons ce qui nous a nourri dans notre enfance : moules frites pour les Belges, fromage et baguette pour les Français, spaghettis pour les Italiens, couscous pour les Arabes.
Bon je déconne, mais il y a du vrai là-dedans.
Suffit de se souvenir de la réputation des topinambours et autre rutabaga dans les générations qui ont connu la guerre pour se représenter le problème. Et puis je voudrais bien voir la tête que nous ferions si nous n’avions que des mangues séchées pour terminer les fins de mois. Le réalisme impose donc de d’abord vérifier l’utilité réelle de cet équipement.

Ce beau projet dépend aussi de la capacité du groupe à gérer cet encadrement, avec des moyens réduits à presque rien et sans doute moins de 10 euros en caisse. Ils ont en tout cas le moral. Par contre, cela ne me semble pas nécessaire d’avoir un nouveau local pour démarrer, la cour de l’ONG Néré pourrait permettre de commencer.

Le projet de séchoir solaire

Janvier 2012. Nous passons à la réalisation d’un prototype. Ce genre de modèle doit pouvoir améliorer la conservation des aliments et l’auto-suffisance alimentaire à l’échelle d’une famille.
Notre objectif n’est pas de créer un outil capable de sécher une production professionnelle en vue de la mettre sur le marché... et de s’affronter à ses "lois".
Si des paysans souhaitent s’y lancer, ils prendront leurs propres risques.
Pour nous cette réalisation est plutôt une piste pour précisément sauver une partie de leur production de ces maudites lois du marché.
Il faut en premier faire comprendre le principe, ensuite dessiner les plans et bien les expliquer au menuisier de Thyou.
Ce dernier n’a qu’un outillage très réduit ; une scie manuelle (en l’absence d’électricité...), un marteau, une petite équerre d’écolier, des clous, de la colle...

Ces photos illustrent le vol dont sont victimes les paysans (et les consommateurs....) sur le marché de la tomate.

Au petit matin, de gros camions en provenance du Ghana déboulent à Goumogo et dans chaque village de la région.
Ici une forte femme, énergique et autoritaire donne ses instructions. De grandes caisses sont débarquées du camion, près des champs de tomates. Ce sont les mesures pour l’achat des tomates.


Ces énormes caisses doivent être remplies rapidement. L’acheteuse, une burkinabé qui travaille pour les grossistes du Ghana, inspectent les caisses préparées par les paysans et leurs familles. Pour le même prix, elle exige un "chapeau" ; les tomates doivent former la plus grande pyramide possible au-dessus du raz-bord.


7500 CFA soit 11,50€ la caisse. Le paysan ne gagne rien. Il a le sentiment d’être volé, spolié, exploité, que son travail n’a servit à rien.
Le consommateur, que ce soit en Afrique ou en Europe, au supermarché ou à l’épicerie, payera toujours son concentré de tomate au même prix, ...au moins...



Cette année les pluies ont été insuffisantes, les récoltes mauvaises. L’eau du bas fond est très boueuse, son niveau très bas. Les poissons péchés sont de plus en plus petits... Il faut bien manger quelque chose.
Les paysans ont rapproché leurs parcelles de l’eau et cultivent donc sur une terre sous-eaux les années précédentes, donc assez riche en alluvions.
Fin 2011, les primeurs, abondantes, sont à de bons prix. Mais en ce début janvier, la production de tomates explose. Les prix chutent, c’est une vrai ruine. L’abondance se transforme en misère. Dans quelques jours, tout au plus, si ces tomates ne sont pas vendues, elles seront "gâtées". C’est aussi ce qui permet à cette rapace d’acheteuse d’imposer ses conditions.


Un séchoir solaire permet de détourner de ce marché de dupe, une partie de cette récolte. Pour la famille en premier, qui en étalant mieux sa consommation, pourra bénéficier d’une meilleur autosuffisance alimentaire.


De premiers essais doivent être réalisés avec des tomates, des piments, des mangues.

De premières mangues séchées pour bientôt ?