par Eric Rouxhet

Nous commençons par un réchauffement d’autant mieux venu que le local est glacial. Un vigoureux massage en duo transmet la chaleur du partenaire et est particulièrement efficace car son pouvoir calorique est augmenté d’une douce part de bienveillance affective.
Enfin arrivés à température, nous travaillons des duos. Je change plusieurs fois de duettiste et retrouve la même complicité faite d’écoute et d’acceptation même si le ou la partenaire n’est pas toujours maniable à mon gré ou inversement me surprend par une extravagance gestuelle ou verbale. Ainsi une telle m’a semblé peser des tonnes à mouvoir et un autre m’a laissé pantois en balançant un grand tapis dans le décor en guise de fin de partie. Jamais toutefois le lien ne s’est brisé entre nous et notre improvisation sera vue pour pure préméditation. Etre complices ou rivaux d’un accident de parcours semble une bonne recette. Rita avait ajouté la consigne d’y inclure de la mauvaise humeur que certains ont rapidement convertie en furie tandis qu’une autre ne parvenait pas à se départir d’un sourire solaire. Comment faire de la colère quand on est contente, du dépit quand on est joyeuse, du déchainement quand on est sereine ? Faut-il jouer la comédie de l’acteur qui se fond dans le personnage de sa pièce fût-il à l’opposé de sa nature profonde ? Donc, comment être en colère avec le sourire ? (si si, il y a moyen).
La journée s’achève par l’exercice périlleux du seul en scène. Sans le moindre accessoire, c’est le face à face entre quelqu’un de dépouillé (nous n’avons pas même le nez) et une rangée de scrutateurs engoncés chacun dans leur humeur. Nous bénéficions tout de même des précieuses observations des camarades quant à nos manies, tics et autres moyens d’expressions propres. Comme d’habitude, j’essaie de me débrouiller sans la parole. Je m’élance avec prudence, jauge notre courte assemblée du regard puis, au détour de je ne sais plus quel mouvement jaillit de ma bouche un « bon », l’expression de quelqu’un en face d’une tâche incontournable et disproportionnée. Puis, aidé par le public, ce « bon » devient l’exclamation qui ponctue une série d’expressions corporelles, livre mon sentiment ou suggère une réaction au public. Il y aura le « bon » satisfait, le « bon » empêtré, le « bon » lassé, le « bon » fâché, le « bon » désolé, … . C’est ainsi que chacun, à petits coups de trouvailles étoffe son jeu. Le jour où rien ne viendra, où je serai une huitre sans perle qui refuse de s’ouvrir, je chuchoterai « bon » par la fente de ma coquille … et quelque chose s’ouvrira. Ce sera moi.

Eric