Cela ne semblait plaire à personne, et effectivement, nous avons tous perdu une demi-heure, avec enprime une atmosphère complètement dissipée dans laquelle il était extrêmement dur de seconcentrer.

Cela nous a permis de considérer les conditions propices et nécessaires à une telle activité. Comment bien commencer ? En évitant le stress, déjà. Laisser les jeunes sortir de leur chambre au moins un quart d’heure avant le début de l’atelier, pour que l’on ait le temps de se parler, qu’ils aient le temps d’émerger s’ils dormaient, que l’on rétablisse le contact.

Le temps de susciter la curiosité, de faire naître l’envie. Ne pas leur imposer de venir, qu’ils sentent qu’ils aient le choix, que ce moment de plaisir ne devienne pas une contrainte, ce qui aurait pour effet de les braquer plus que de leur donner envie. Qu’ils fassent un vrai choix, de venir participer à l’ensemble de la séance, pas de venir 5 minutes, s’asseoir, regarder, partir puis revenir, ce qui a pour effet de déstabiliser les autres qui tentent de lâcher prise. Déterminer le nombre de personnes du personnel participant, en demandant la même régularité aux jeunes qu’aux moins jeunes. Pour sortir des fonctions établies, que certains encadrants estiment nécessaires mais également encombrantes, il faut casser la distance entre “ceux qui sont là parce qu’ils ont quelque chose à payer, à soigner”, et “ceux qui sont là pour servir d’exemple infaillible, être l’autorité, la personne responsable”. Il faut rétablir, l’espace d’un instant privilégié, l’authenticité de nos liens, tous humains, tous perclus de qualités et de défauts, d’amour et de frustration, de doutes et de certitudes, notre authenticité d’êtres contradictoires, complexes, uniques, insaisissables. La nature du lien qui peut se créer dans ces conditions atteint une qualité rare. On a vu l’autre se transformer, donner de lui, oublier ses postures et les masques sociales pour offrir un tout autre visage, une porte sur nos mondes cachés. C’est un cadeau inestimable.

C’est pourquoi il est compréhensible que certains jeunes regardent l’atelier d’un oeil si inquiet. Se cachant d’abord derrière le visage du mépris, puis peu à peu celui curieux mais craintif de celui qui sent que la carapace pourrait bien se fissurer pour laisser voir la fragilité. Se montrer à la lumière de notre propre étonnement, quand on a passé tant de temps à se construire une peau d’acier, un regard glacé, et à bétonner tout ce qui pourrait ressembler à une émotion... Accepter sa fragilité, c’est ouvrir une brèche par où les autres peuvent nous atteindre, et d’après leur expérience, nous faire du mal. Il faut laisser le temps, et peut-être qu’à un moment, cette peur s’estompera suffisamment pour laisser exister autre chose.
Quand on voit que certains d’entre eux rient à peine, sourient si peu, et ont déjà leur front paré des rides de l’inquiétude et de la colère, comme après des décennies de vie…Cet espace et les jeux qui y sont pratiqués n’ont qu’une utilité : permettre à l’enfant trop vite enterré de ressurgir et de prêter l’espace d’un instant son regard et son corps sublimés. En comptant sur le fait que si les mots sont insuffisants pour dire ce que l’on a vécu, nos membres se souviennent de cette intensité dont nous sommes orphelins le reste du temps. Et qu’il existe des moyens de la retrouver…

CR Mangroves 31/11