Nous sommes arrivés à Port au Prince avec Gustav, un méchant cyclone qui a tué 60 personnes.
Traversée de la ville à la nuit tombante, nous croisons des patrouilles de l’ONU : des casques bleu, debout sur des plates-formes "4X4", tiennent en main de gros fusils mitrailleurs et en respect la foule grouillante.
Les deux jours suivants, nous sommes coincés par Gustav qui ne se calme pas.
Vendredi 29/8 : nous partons dans le département d’Artibonite Nord, dans la commune de St Michel Latalay ; 6 heures sur des routes dont les deux dernières, la nuit, étaient dignes d’Indiana Jones ; traversée des rivières à gué (il n y a pas de pont), routes défoncées par les cyclones, nids de poules qui sont plutôt des trous de bombes.
Nous formons un convois de 3 "4X4", sponsorisés par OXFAM, un comble pour aller jouer un spectacle sur le réchauffement climatique. Il faut dire qu’ici les "4x4" se justifient un peu plus qu’à Paris...
Mais ce serait tellement plus simple et plus démocratique d’avoir une ligne de chemin de fer ou de bus.
Guido joue pour la première fois samedi vers 17H. Il commence devant une trentaine de personnes mais bientôt les rires des spectateurs attirent les gens qui se trouvent dans les environs. Il termine devant près de 150 personnes.
Le spectacle semble donc bien fonctionner.
Retour le dimanche, les chauffeurs d’OXFAM roulent comme des malades, 80 miles à l’heure, frôlant les enfants et les passants au bord de la route.
Il n’y a que les riches et les ONG, dont des panneaux annoncent un peu partout les réalisations, qui roulent en "4X4".
L’obscénité est à son comble avec les nombreuses signatures de l’USAID [1]. Après avoir provoqué la misère et la ruine, les âmes américaines charitables viennent déposer des emplâtres sur les plaies de la pauvreté.
Dieu est partout, sur les "tap-taps" richement décorés, sur les enseignes de boutiques : "Jésus nous sauve", "Gloire à Dieu", "L’éternel pourvoira", et j’en passe. En fait, nous, on voudrait bien lui casser la gueule à ce dieu. Mais ce n’est pas possible de taper sur le vide, dommage ça soulagerait.
Il y a un urbanisme de la misère, nous l’avons rencontré un peu partout, au Burkina, au Cambodge, en Roumanie.
Mêmes alignements de ruelles accrochées à la grand-route, qui cachent les baraques de tôles et de planches.
Même crasse, même puanteur, même précipitation des vendeurs de toute sorte vers le riche véhicule qui fait un arrêt dans le bourg.
Il n’y a pas de service de ramassage des immondices. Dit comme ça, cela paraît un détail. Vécu par la population, c’est la saleté au quotidien, des déchets partout, des décharges immondes dans tous les coins. Sur la route du retour, une vache crevée achève de pourrir au bord de la route.
Hier, à Port au Prince, dans le quartier "résidentiel" de Paco où nous habitons, nous avons été réveillés en pleine nuit par l’odeur âcre des fumées d immondices.
Il y a des centaines d’écoles privées qui font de la pub pour la rentrée prochaine : "uniforme gratuit pour les 30 premières inscrites", spots à la radio, etc. Vive le néolibéralisme.
Dans la rue, des camions déchargent des sacs de riz "American Rice", symbole des importations alimentaires subventionnées qui ont mis en faillite les petits agriculteurs haïtiens. C’est la hausse du prix de ce riz qui a déclenché les émeutes de la faim.
Après Gustav, c est le tour d’Anna.
Il y a des inondations dans la région où nous avons joué ce week-end, l’eau atteint 5 m de hauteur.
A Port au Prince, vers 15H, le vent s’est levé et a arraché arbres, poteaux électriques, tôles, qui volent dans le ciel comme des lames tranchantes.
De notre chambre parcourue par le vent (les fenêtres à ailettes ne ferment pas), nous observons les bourrasques qui montent comme la colère, grandissent, enflent, éclatent. Les cocotiers, presque pliés en deux, demandent grâce.
Notre répétition devait avoir lieu a 15H, elle a été reportée à 16H. Heureusement : c’est à cette heure que le bâtiment voisin s’est écroulé sur le local où devait se dérouler notre répétition (voir photo dans l’article suivant).
Ce matin, nous observons les ravages, partout. Bien entendu, ce sont les pauvres qui ont trinqué le plus, les bidonvilles, c’est pas bien solide. Les bananiers sont arrachés, un morceau du toit du bâtiment qui nous loge est arraché.
En ville, nous sommes les seuls blancs et, forcément, on attire l’attention. A plusieurs reprises, nous avons été montrés du doigt et on nous a mimé un égorgement en passant l’index autour du cou.
Dans notre quartier résidentiel, de hautes murailles de béton gris surplombées de fil de fer barbelé, un modèle avec des petites lames au lieu des pointes habituelles, protègent de riches villas qu’on aperçoit lorsque les portes s’ouvrent dans ces murs.
En ville, plus au centre, aux environs de l’ambassade de France, quelques vieux bâtiments coloniaux en bois, perdus au milieu de constructions en béton sans âme. Le reste, bidonvilles.
Ca flaire un peu partout l’eau croupie, la pisse et la merde.
Devant les devantures des magasins -de petites alimentations générales, de petit bureaux de change- des hommes en uniforme bleu foncé, avec des lunettes noires et un gros "riot gun" montent la garde de manière inquiétante.
Lors de notre séjour à St Michel Latalay, nous avons remarqué un personnage important, obèse, la peau grasse et couverte de transpiration. Il était accompagné d’un garde du corps, le genre à faire de la musculation, lunettes noires, un gros flingue glissé à l’arrière du pantalon.
La police ne semble pas vouloir contrôler les gros véhicules comme les 4X4. Les nôtres étaient visiblement en surcharge (11 passagers pour 7 places, sans ceintures) et roulaient comme des dingues ; pas de problème, un coup de klaxon du chauffeur pour saluer les flics, et sans même ralentir, on les dépasse. Les flics font un petit salut de la main et laisse filer, ils préfèrent se concentrer sur les "tap-taps".
A St Michel Latalay, nous avons rencontre une bonne soeur blanche.
C’est plutôt elle qui a foncé sur nous, car nous préférons éviter ce genre de déguisée.
-Et d’où venez vous ?
-De Belgique, de Tournai...
-Comme le monde est petit, ma maison-mère est à Roubaix et notre maison de retraite est à Froyennes, il faudra venir nous dire bonjour...
T’espères... Les sectes sont nombreuses à vouloir s’implanter, méthodistes, adventistes, baptistes, témoins de Jéhovah, disputent le marché de la croyance à la méga-secte catholique.
A St Michel Latalay, nous avons été amenés à visiter une grotte sacrée où se mélangent le folklore catholique et le vaudou. Des traces de sacrifices de poulets jonchent le sol, mélangées aux crasses qu’on trouve partout. St Francois Xavier serait venu dans cette grotte...
Pourtant ce jésuite n’a semble-t-il jamais mis les pieds de ce côté de la terre. Mais ce n’est pas le genre de détail qui arrête un croyant.
Les dealers d’opium du peuple ont encore de beaux jours devant eux.
Une souris (pas électronique) vient de traverser le cyber-café en courant dans nos pieds...
[1] Agence des États-Unis pour le développement international