Mondialisation et réchauffement climatique

Souvent, installé confortablement devant la TV, on est plus rapidement informé des évènements qu’en y étant plongé.
Nous avons reçu beaucoup de messages de nos proches nous demandant avec angoisse s’il ne nous était rien arrivé et si nous n’avions pas souffert des cyclones. Ils avaient vu les images de la TV : prises de vues d’hélicoptère, zoom sur les horreurs dont se régalent les médias.

Lorsqu’on est plongé dans le réel, si on n’est pas au mauvais endroit au mauvais endroit, on n’a pas cette perception « vue du ciel » que donne la TV. Le nez sur les évènements, sans distance, sans recul, les informations sont faites de rumeurs, de chiffres partiels, de récits de témoins directs : c’est cet ensemble qui, peu à peu, constitue la représentation de la réalité.

Par contre, on bénéficie d’un autre point de vue, au ras du sol.
Beaucoup d’Haïtiens semblent considérer les cyclones comme une fatalité, un moment de mauvaise humeur de l’Eternel, tellement présent ici.
Peu semblent faire un lien entre ces calamités et le monde comme il va.
Le propriétaire de 4X4 reste un modèle social envié, le mode de vie des USA (tout proches), un idéal qu’il serait souhaitable d’atteindre.

Lorsque nous avons traversé l’Artibonite [1], nous avons pu constater les ravages causés par l’exploitation sans aucune limite de la nature. Beaucoup de montagnes sont entièrement déboisées ; le pays ne dispose pas de ressources d’énergies fossiles, la cuisine se fait traditionnellement sur du charbon de bois (comme nous l’avons vu aussi au Vietnam, au Cambodge, ou au Burkina Faso, etc.).
Pour fabriquer ce charbon de bois les paysans sont amenés à couper les arbres, puis, lorsque ceux-ci sont épuisés, les arbustes. Finalement, le terrain se retrouve nu. Débarrassé de sa couverture forestière, le sol est alors lessivé par les pluies, l’érosion des couches supérieures (les plus fertiles) commence.
Il reste une terre désertique où seuls quelques cactus géants trouvent à pousser . Un simple coup d’œil sur l’île d’Haïti et St Domingue, avec Google Earth , permet de constater cet état de fait. Du côté de l’île occupé par la république dominicaine, la nature est restée à peu près verte, la frontière politique avec la république haïtienne marque également la frontière de la dégradation écologique, de ce côté les terres apparaissent en jaune et la végétation clairsemée.

Lors du passage des cyclones, ces terrains alimentent des coulées de boue qui, en l’absence de toute végétation, ne rencontrent aucun obstacle. Les vents peuvent également donner de toute leur force, sans rien qui puisse en atténuer l’intensité.
La violence des cyclones dans l’Atlantique a plus que doublé au cours des 30 dernières années. Et, hélas, ce n’est qu’un début.
Ici, dans un pays comme Haïti, la facture pour la population pauvre est considérable.
L’habitat est extrêmement précaire : des cabanes de terre séchée et de feuillage, des toits de tôles ondulées, rouillés et mal fixés. La population des campagnes qui a rejoint les villes pour tenter d’échapper à la misère a souvent occupé les terrains délaissés. Ce sont la plupart du temps des zones inondables lorsque les cyclones surviennent.
A la campagne même, trop d’habitants sont encore logés dans des zones dégradées -sujettes désormais aux coulées de boues ou aux effondrements de terrain- ou encore dans des lieux vulnérables, comme des ravins.
C’est ce qui explique les centaines de morts directes, et les milliers de morts indirectes provoquées par les cyclones de ce mois de septembre 2008, Gustav, Anna et Ike.
Plus de 800.000 sans abris, l’ONU estime le coût de la reconstruction à 100 millions d’Euros, le gouvernement Haïtien calcule qu’il lui en coûtera l’équivalent de 3 ou 4 années de « croissance », si ce mot veut dire ici quelque chose.
Des chiffres qui peuvent paraître affolants, et qui le sont encore plus si on les compare à l’indemnisation de 40 millions d’Euros dont va bénéficier l’escroc Bernard Tapie, et au fait que l’émission de 75% des gaz à effet de serre incombe aux pays développés.
Haïti l’un des pays les plus pauvre du monde n’y est pour rien.
La responsabilité des pays développés, du système capitaliste qui promeut cette croissance « infinie », est criminelle. On ne pourra pas dire que l’on ne savait pas….

Alors que le pays vient de connaître des émeutes de la faim, ces derniers cyclones ont ravagé son agriculture à hauteur de 75%. Et pourtant, la conscience politique et environnementale des Haïtiens reste des plus embryonnaires. Lors de la représentation de notre spectacle « Le Pique-nique », sur le thème du réchauffement climatique, alors qu’un débat suivait le spectacle, nous avons été interpelés. Un participant trouvait déplacé d’aborder ce sujet alors que le prix du riz (américain) vient d’atteindre des niveaux qui le rendent inabordable pour une grande partie de la population.
« Quel rapport avec le prix du riz ? », explosait-il dans sa question.
Pourtant la délocalisation de l’économie est liée à l’ouverture des marchés imposée par les ajustements structurels.
La destruction des cultures vivrières (remplacées par des cultures dites « rentables » - mais pour qui ?) contraint le pays aux importations alimentaires, payées sur le marché international qui, lui, est dominé par les agricultures subventionnées des pays développés. Cette situation joue un rôle important dans l’explosion des transports en tous sens, à contre saison et en dépit du moindre bon sens, mis à part celui de la mondialisation capitaliste de l’économie…

Un cadre haïtien d’OXFAM, lors d’une discussion sur l’avenir de l’île, estimant que la technologie solaire était trop coûteuse, prônait la plantation de cultures en vue de produire des agro-carburants.
Pourtant encore plus qu’ailleurs, ici, entre manger ou conduire, il faut choisir.
Comme on le voit, concrètement sur le terrain, il y a toutes les raisons de s’interroger sur la pertinence des actions ou des réflexions menées par certaines ONG (nous y reviendrons).

Il y a fort à parier que le réchauffement climatique et ses conséquences dramatiques -élévation du niveau des mers, sècheresses, dérèglements climatiques, désertification, famines- n’inquiètent que les populations incapables de s’en protéger.
Dans les pays développés ou dans les pays sous-développés, les pauvres subiront seuls ces effets.
Le cyclone Katrina l’a démontré, les riches peuvent se payer les moyens d’évacuer et d’attendre au sec et dans le confort la fin des calamités.
Les pauvres n’ont qu’à apprendre à nager.
Tuvalu, ce petit pays insulaire du pacifique est un autre exemple de l’indifférence des pays capitalistes aux malheurs provoqués par leurs politiques industrielles.
Dans son dernier livre « La stratégie du choc » [2], consacré aux ravages organisés par les néo-libéraux, Naomi Klein, révèle sous quelles augures, l’école des Chicago Boys de Milton Friedman et les néo-conservateurs américains envisagent l’avenir et la gestion de ces désastres climatiques.

"En un an seulement, l’industrie des secours aux sinistrés avait littéralement explosé. Une ribambelle de nouvelles entreprises fit son entrée sur le marché en promettant la sécurité le jour où frapperait la prochaine Grande Catastrophe. L’un des projets les plus ambitieux fut lancé par une compagnie aérienne de West Palm Beach, en Floride. Help Jet se targue de proposer « le premier plan de fuite en cas d’ouragan capable de transformer une évacuation en vacances de luxe ». La démarche est la suivante : la compagnie réserve pour ses membres des vacances dans des hôtels pour golfeurs cinq étoiles, (…). Les membres sont rapidement évacués de la zone à risque à bord de jets de luxe. « Pas de fil d’attente, pas de foule grouillante. Qu’une expérience de première classe qui transforme une épreuve en vacances. (…) Profitez de la joie qu’on ressent à l’idée d’éviter le cauchemar dont s’accompagne habituellement l’évacuation en cas d’ouragan » (Help Jet, www.helpjet.us).

Les personnes qui restent derrière ont droit à une solution privatisée d’un tout autre genre. En 2006, la Croix Rouge a signé avec Wal-Mart un nouveau partenariat relatif aux interventions en cas de catastrophe. « Avant longtemps, le privé s’occupera de tout ce secteur, déclara Billy Wagner, chef de la gestion des situations d’urgence des Keys, en Floride. Il a l’expertise, il a les ressources. » Il prenait la parole à l’occasion de la conférence annuelle sur les ouragans tenue à Orlando, en Floride, florissante foire commerciale (annuelle) à laquelle participent toutes les entreprises offrant des produits susceptibles d’être utiles lors d’un prochain désastre. Certains se sont dit : « Dis donc, c’est un marché énorme – il faut que je m’y taille une place. J’arrête d’être paysagiste ; je vais devenir entrepreneur spécialisé dans la gestion des produits post-ouragans », déclara Dave Blandford, exposant à la conférence, en exhibant fièrement ses « repas auto chauffants » (Seth Borenstein, « Private Industry Responding to Hurricanes » Associated Press, le 15 avril 2006). "

A ce titre Haïti représente ce qu’on pourrait appeler l’utopie néo-libérale réalisée, ou si l’on préfère le capitalisme réel.
Ce monde se divise en deux. D’un côté des enclaves pour riches, avec des villas d’un luxe étonnant, cernées de hautes murailles, protégées par des barbelés et gardées par des milices armées, à l’image de la zone verte de Bagdad. Et de l’autre côté, un monde de misère, de bidonvilles, sans services publics, soumis à tous les aléas climatiques, économiques et sociaux, livré à lui-même, la zone rouge, toujours comme à Bagdad.

L’Etat n’est plus qu’une coquille vide dont la seule fonction est d’assurer l’ordre. Et encore, une partie de ces fonctions sont elles-mêmes « externalisées », sous-traitées par des firmes privées qui gèrent des milices privées, voire même, comme c’est le cas aux USA, organisent une partie de plus en plus importante de l’appareil militaire lui-même (Blackwater, par exemple).

Toujours dans « La stratégie du choc » [3], Naomi Klein ajoute :

"A la pensée des prochains désastres écologiques et politiques, nous tenons souvent pour acquis que nous sommes tous dans le même bateau, que nous avons besoin de dirigeants conscients du fait que nous courons à note perte. Je n’en suis pas si sûre. Si pour l’essentiel nos élites politiques et économiques font preuve d’un grand optimisme dans le dossier du réchauffement climatique, c’est peut-être parce qu’elles sont raisonnablement certaines d’échapper elles-mêmes à la plupart des inconvénients. C’est peut-être aussi ce qui explique qu’un si grand nombre de partisans de Bush soient des chrétiens persuadés que la fin du monde est proche. Bien sûr, ils sont convaincus de l’existence d’une issue de secours au monde qu’ils contribuent à créer, mais il y a plus. Le Ravissement est en réalité une parabole du monde qu’ils façonnent ici-bas – un système qui s’appelle la destruction et le désastre avant, le moment venu, de faire monter les élus à bord d’hélicoptères privés qui les emporteront, en compagnie de leurs amis, vers la sécurité divine."

Ici à Haïti, les pauvres prient pour les riches, qui n’ont même pas à se soucier de cela.
Merci seigneur.

A propos des ONG (blog, 4ème partie).

[1L’Artibonite (créole haïtien : Latibonit) est le plus grand fleuve d’Hispaniola et donc d’Haïti mais est aussi le nom de l’un des dix départements d’Haïti. Sa superficie est de 4984 km² et on estime sa population à 1 168 800 habitants en 2002. L’Artibonite est la zone principale de culture du riz pour le pays. Les villes les plus importantes sont Les Gonaïves (chef-lieu) et Saint-Marc.

[2Aux Editions Actes Sud, pages 501 & 502

[3Pages 506 & 507